Jeu de peaux

Aujourd’hui, cette ville en berne (Détroit) abrite une population à majorité afro-américaine, avec à la clé un taux de chômage exponentiel, résultant en grande majorité d’une délocalisation massive. Les usines ont déserté, dès les années quatre-vingt, ce terreau industriel ancestral pour délocaliser, laissant des centaines de milliers de personnes sur le carreau.

Irina est une pure Russe. Un colosse doté d’une charpente de catcheuse. Quatre-vingt-quinze kilos d’aigreur et de frustration, un mètre quatre-vingt-cinq de sadisme. Cheveux courts, coiffés à coups de schlass, cet ancien soldat de l’Armée rouge, d’une quarantaine d’années, n’est pas abonné à Modes & Travaux.

Tout le monde, en revanche, s’accordait sur un point : ce jeune prodige maîtrisait, à l’aube de ses dix ans, l’ensemble des techniques. Fusain, gouache, acrylique, sanguine, autant de possibilités qui lui avaient permis d’exprimer son abyssale souffrance. Son coup de pinceau laissait exploser une symphonie de couleurs parfaitement orchestrée.

Rien à dire, ce gars a de l’allure. Une silhouette élancée mais massive, qui évoque instantanément la puissance des statues romaines, le tout dans une posture propre aux grands héritiers, port haut et démarche assurée.

Aujourd’hui, c’est comme si tout son être, toute sa substance se liquéfiait de l’intérieur. Le corps continue à sourire, mais l’âme hurle à la mort.

Dans son fast-food, Max fait de la mauvaise bouffe et son restaurant sent la vieille huile recyclée, mais ses répliques de clés sont restées légendaires dans le milieu. Ancien légionnaire puis braqueur, ce type a percé plus de coffres que de boutons d’acné sur sa gueule, et, vu les cratères qui défigurent encore son visage, c’est peu dire …

Enfin, la roue est sur le point de tourner en sa faveur. Il tient sa revanche, aussi sûrement qu’un pitbull surentraîné entrerait dans l’arène pour un combat avec des putain de chiwawas élevés à la confiture de septuagénaire. Sa victoire se fera dans le sang et elle sera pleine et entière.

Dès le premier regard, ce type lui déplaît. Aussi large d’épaules que de ventre. Son visage soufflé luit de trop de sébum, un physique aussi repoussant que ses manières obséquieuses et mielleuses. C’est un fourbe, il le sent …

Le commissaire, malgré lui, sourit intérieurement. Brasconi et lui ne parlent pas le même langage. Lui a une toute autre définition de ses « clients ». Pour Jourdain, comme pour l’ensemble des flics, les « clients » sont soit des suspects, soit déjà en taule.

Les dix peaux tatouées ont été déposées à 14 heures, soit il y a... (il jette un oeil à sa montre) exactement une heure à l'Institut médico-légal de Paris, dans le XIIe. Nous nous sommes déplacés, le procureur, l'inspecteur et moi-même hier soir, chez Sotheby's après cette livraison pour le moins étrange, pour observer ce lot de peaux humaines fort peu commun. Je dois dire que j'ai été impressionné. Les tatouages sont en parfait état de conservation. Les peaux ont été tannées de manière traditionnelle, comme si elles avaient été préparées pour être mises en vente.