AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de patricelucquiaud


C'est le type de roman que j'affectionne particulièrement, qui hisse la fiction à la portée du vraisemblable et qui fait du quotidien ordinaire une poésie à vivre les yeux grand ouverts... encore une belle leçon de vie, la vraie !...



Nous voici transportés sur les bords de la Garonne entre Agen et Toulouse dans ces années « 30 » de l'entre-deux guerre... Un petit village Montalens, des coteaux hérissés de vergers et de vignes surplombent le fleuve, une sablière, des barques de pêcheurs, les gens du rivage, petites maisons en bord d'eaux, une vie âpre pour les adultes, faites de gestes répétitifs, contraignants mais qui apportent le pain et le chaud au foyer, une vie de rêve pour les enfants qui ont les yeux remplis de la lumière du fleuve, des espoirs d'une vie généreuse mais simple pour Étienne qui n'envisage pas de quitter ses rives enchanteresses, mais plus scintillante et prometteuse de bien-être pour Melina qui n'aspire qu'à quitter ces lieux où la misère a enchaîné ses parents.



Pourtant, ces deux enfants dans leur 13ème année, ne se quittent pas, s'attendent et se raccompagnent sur le chemin de l'école et profitent des vacances d'Été pour explorer le fleuve à bord d'une barque, s'isoler sur une petite île déserte et après de savoureuses baignades, s'allongeant sur le sable, rêver leur jeunesse et leur avenir... Insouciance de leur jeune âge mêlé d'inquiétudes et de questions pour leur futur. Lui, se voit vivre éternellement de la pêche comme le vieil Eugène qui l'a doté d'une barque, elle, aspire à faire des études pour être institutrice et aller enseigner loin de la maison familiale… elle, rêve de la ville et de ses lumières, lui n'envisage ses lendemains qu'au fil de l'eau et de son miroitement féerique...



L'auteur nous entraîne avec délice dans leurs rêveries mais aussi dans les méandres de leurs destins réciproques qui va, un temps les séparer, et puis les faire se rejoindre dans la grande ville de Toulouse.



Ils y retrouvent le fleuve, ses odeurs, son courant porteur de vie, mais aussi la société des grands, des puissants, des petits, des faibles, soumis ou rebelles...

Contraste des demeures bourgeoises dans les beaux quartiers et des logis, des échoppes et ateliers des gagne-misères des quartiers pauvres. Grands patrons nantis, ouvriers besogneux... nous plongeons au coeur de cette lutte des classes qui les oppose âprement au moment des grandes grèves de 1936 se soldant par la victoire du front populaire. Acquis sociaux qui amènent une prometteuse embellie sur le sort des travailleurs lesquels viennent à connaître la joie des premiers congés payés... bonheur éphémère dont profitent aussi Étienne et Lina jusqu'à l'émerveillement en découvrant l'océan... Mais ce sont aussi des heures sombres avec la guerre civile qui fait rage en Espagne, avec les menaces du nazisme qui s'étend sur l'Europe. Les craintes d'une guerre terrible dont on ne veut pas et qui pourtant semble inéluctable.



A travers le cheminement et les revers de ces deux personnages adolescents devenant précocement adultes en assumant leurs responsabilités et leurs choix existentiels dans des milieux d'abord très opposés, que nous décrit donc Christian Signol, en mettant en exergue cette lutte des classes ?

Une situation vieille comme le monde et qui se répète souvent à travers la longue Histoire de notre Humanité. Les dominants et meneurs assujettissant et soumettant à leurs lois les dominés, la plèbe, cette majorité qui doit se contenter des miettes quand les premiers ont festoyé dans l'abondance. Révoltes, rebellions, mutineries, révolutions n'y changent souvent pas grand chose... D'autant qu'au delà des biens et de l'aisance que les premier ont à foison, et que les petits, les exécutants et autres « larbins » n'ont pas, il est une richesse culturelle dont profitent les nantis et dont les pauvres n'ont aucune part. Tout ceci est lié... ainsi, quand on vit dans les bas fonds, on ne peut accéder à la culture des grands, et quand les uns prennent leurs grands airs à l'opéra, les autres s'affalent sur le comptoir de sombres estaminets.

Dans ce Roman de Christian Signol, les dialogues se font l'écho de cette situation où chaque côté en polarité de la société, dans sa façon de vivre et de s'instruire, n'accède pas aux mêmes « registres » et, la conception que chacune de ces classes sociales se fait de sa rivale, est truffée de clichés, de préjugés ; chacun s'accaparant d'un idéal auquel il s'identifie sans réserve : élitiste pour les premiers, communautaire et humaniste pour les seconds.

En demeure un indestructible mur d'incompréhension, une non envie de considérer objectivement les facettes positives et négatives de chacune de ces positions, et de ces situations de vie antagonistes matériellement et culturellement, n'en voulant surtout rien changer :

"Les patrons seront toujours des exploiteurs, les ouvriers des exploités... aux premiers le profit, aux seconds le labeur..."



En fait, au-delà des abus repérables dans chaque camp, plus qu'une position politique, ou d'une faconde démagogique, l'auteur nous montre l'hérésie de cette façon de penser et de schématiser. La confrontation pure et dure est destructrice… elle le fut bel et bien dès la fin de ces années 30...



Au-delà d'une quête du bonheur, fut-il le plus simple du monde, s'en dégage une grande leçon d'humanité où, le don de soi pour assurer un meilleur futur à ceux qui viennent après nous, n'est absolument pas absent dans cette tranche de vie qui, si elle n'est pas le long fleuve tranquille qu'on en attend, demeure un ruissellement permanent réfléchissant aussi la lumière.
Lien : http://www.mirebalais.net/20..
Commenter  J’apprécie          90



Ont apprécié cette critique (9)voir plus




{* *}