Extrait du livre audio « Une famille française » de Christian Signol lu par Cyril Romoli. Parution CD et numérique le 18 octobre 2023.
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Regarde bien les arbres. Ils savent, comme nous, qu’ils doivent mourir un jour, mais
ils ne pensent qu’à une chose : grandir, monter le plus haut possible.
Peut-être un jour viendra où les femmes seront plus nombreuses à gouverner les pays, et alors seulement les choses changeront. Car il faut avoir porté un enfant pour connaître le vrai prix de la vie, son mystère et sa force.
Sous un ciel plein d'étoiles, la terre, les pierres, les bêtes, les arbres et les plantes allaient renaître chaque printemps dans d'autres matins, d'autres lumières et des hommes poursuivraient leur route dans l'innocence de ceux qui lèvent encore la tête vers le ciel -- des hommes dont je faisais partie, désormais, après avoir le seul vrai paradis qui existe encore : celui où les seuls prix pratiqués sont ceux qui permettent des retrouvailles avec les secrets oubliés, mais dont l'écho, répercuté depuis le coeur profond de notre mémoire, demeure vivant en nous depuis le plus lointain des âges.
Aujourd'hui, les vieux ne meurent plus dans leur familles, mais seuls, dans les hospices où ils se consument à petit feu, sans la moindre joie, pressés de disparaître pour ne plus être à charge.
Il y a une magie du premier gel. Un matin d'hiver le froid s'est brusquement abattu sur la campagne. On hésite à sortir car une lumière inhabituelle descend du ciel. (...) Il faut aller voir ce qu'il s'est passé dans le jour qui se lève, se vêtir chaudement, pousser la porte, frissonner, sortir quand même ; refermer la porte derrière soi. Le vent du nord mord le visage ; l'éclat de la terre et du ciel, légèrement rosé, éblouit, fait mal aux yeux. Il a gelé.
Il savait, Aurélien, qu’il y avait dans cette odeur d’herbe humide montée de la vallée, dans le frémissement des premières feuilles à peine écloses des duvets, dans cette étoile qui clignotait une dernière fois avant de s’éteindre, plus de richesses qu’aucun homme n’en accumulerait jamais. Mais il savait aussi que le bonheur n’existe que s’il est partagé. Il soupira.
Elle l’avait connu dans les vignes, un jour de novembre où il lui avait pris les mains pour les réchauffer, alors qu’elle confectionnait les bouffanelles, ces fagots de sarments qui déchiraient si bien la peau meurtrie par le froid. Lui, il n’avait jamais oublié les yeux noirs découverts sous la câline, une coiffe régionale en tissu blanc ou bleu posée au-dessus de la longue chemise blanche qui descendait jusqu’aux chevilles. Ils ne s’étaient pas parlé mais ils s’étaient compris : un seul regard leur avait suffi pour se promettre l’un à l’autre.
(Du roman "Les vignes de Sainte-Colombe", page 40)
–Tu n’as jamais peur de mourir ?
–Et pourquoi j’aurais peur ? fit Aurélien. Qu’est-ce que tu veux qui m’arrive ? Je n’ai jamais fait de mal à personne. Le vieux ne vit pas le sourire de Benjamin que cette sérénité rassura. Il ajouta, plus bas :
–Le plus difficile ce n’est pas de mourir ; c’est de vieillir.
Il se souvenait même précisément de la sueur glacée qui avait coulé de ses épaules vers ses reins à l’instant où il s’était penché sur les boursouflures écarlates découvertes par Cyprien dans les vignes de la Croix. Cela faisait tellement longtemps qu’il les redoutait, tellement longtemps qu’il les attendait !
[…] Mais la décision était une chose et le spectacle de l’arrachage en était une autre. Jamais Léonce n’avait ressenti à ce point combien ces ceps semblaient ancrés dans son corps et combien le vin, le sang de la terre, était semblable à son propre sang. Il venait de découvrir qu’il pouvait souffrir de ses vignes comme de son corps. Elles étaient mortellement blessées, lui aussi.
(Du roman "Les vignes de Sainte-Colombe", page 140-141)
Aujourd'hui, les hommes parlent plus facilement à leur console d'ordinateur qu'à leurs enfants, ils créent des besoins artificiels, dès que les véritables sont satisfaits, ils jettent les vieux dans des mourroirs...