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Critique de jullius


Il paraît, finit par dire Dai Sijie, que « Balzac lui a fait comprendre une chose: la beauté d'une femme est un trésor qui n'a pas de prix ». Voilà bien mon malaise à la lecture de ce roman pourtant plaisant. de quelle liberté faut-il prendre la défense ? Celle qu'encenserait nos grands auteurs classiques ? Quel contre sens me semble-t-il, a fortiori concernant Balzac. Je n'en suis pas un grand spécialiste mais le trilogie du père Goriot, des Illusions perdues et de Splendeur des Courtisanes me semble démontrer l'exact contraire de cette assertion finale chez Dai Sijie. Et Balzac ne fut pas le seul à montrer la face sombre de notre soi-disant progrès vers plus de liberté : liberté pour qui, dans ces régimes de classes ?

Certes Michel Bonnin a montré dans son étude du xiaxiang, (Génération perdue : le mouvement d'envoi des jeunes instruits à la campagne en Chine, 1968-1980) qui, je crois, fit date, le sort des zhiqing, envoyés à la campagne non par nécessité économique ou démographique, mais parce que Mao voulait rééduquer ces jeunes intellectuels, transformer leur mentalité, les amener à s'unir aux masses afin d'empêcher qu'ils ne trahissent sa révolution (en cela, il connaissait l'histoire). Ce faisant, les arrachants à leurs familles, à leurs projets, à un avenir qu'ils voulaient se construire par eux-mêmes.
Ainsi, le xiaxiang a-ttil entraîné, pour Bonnin, la formation d'une « génération perdue » : celle qui perdit illusions et espoirs, ainsi que pour la grande majorité, jusqu'à la possibilité même de faire des études. Mais, dit-il encore, elle fut aussi une génération « réfléchie », lucide, avec une expérience sociale et politique exceptionnelle, qui a appris à mettre en question les fausses évidences, les décisions les plus arbitraires, qui compte aujourd'hui notamment des artistes, des écrivains et des chercheurs en nombre significatif, sachant puiser dans leur expérience pour proposer des analyses et créer des oeuvres originales. Li Yinhe, une ancienne jeune instruite, aujourd'hui sociologue, en témoigne, qui explique comment à partir du xiaxiang, les jeunes instruits ont préféré s'en tenir à ce qu'elle appelle une "vérité d'expérience" : « Nous n'avons plus fait confiance trop facilement à quiconque. Au début, la personne qui nous a dit d'aller "dans le vaste monde" pour y être "rééduqués", n'avait sans doute pas imaginé quel serait l'effet de cette cruelle décision, quel genre de personnes elle forgerait ainsi. Son idéalisme a formé notre réalisme ; son dogmatisme a engendré notre liberté de pensée ; sa politique d'abrutissement du peuple a été à l'origine de notre indépendance d'esprit ». Moins Balzac, donc, que, paradoxalement, Mao. Et moins la découverte qu'il faut jouer le jeu du développement piloté par une élite que la conscience de ses dangers.

Faut-il donc toujours ramener, et (faire) croire que toute émancipation vient de l'occident ? N'est-ce pas là aussi un endoctrinement ? Plus : n'est-ce pas tronquer l'histoire que d'en oublier certains ressorts ? Ne fallait-il pas que la Chine ait à rompre avec les idées que nos invasions et guerres d'opium avaient inoculées de force pour que le traitement ne puisse être envisagé qu'ainsi : une désintoxication au grand air ? de même que la Russie soviétique n'a cessé d'être une Union de républiques socialistes assiégée, ayant à lutter contre les assauts militaires (et cela dès 1918), les suspicions et coups durs diplomatiques, les sanctions économiques, du monde dit « libre », une Chine qui voulait extirper le mal en elle avait peu de recours.
« On dit d'un fleuve qu'il est violent, mais nul ne taxe de violence les rives qui l'enserrent » disait Bertolt Brecht. Cela ne diminue en rien les souffrances qui ont pu exister c'est absolument vrai. Mais le romancier qui veut servir L Histoire doit être juste. Faute de quoi il se sert d'un récit pour écrire sa version de l'Histoire.
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