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Critique de Biblioroz


C'est avec le tramway 13, le dernier « Bastille – Créteil » que nous débarquons à Charenton, au quai des Carrières, le long de la Seine, pour pénétrer dans un débit de boisson dans lequel « la lumière est grise et sent le sommeil ». Gassin quitte l'estaminet afin de rejoindre sa péniche mais, la démarche hésitante, le vieil homme chancèle et tombe de la passerelle. le voilà dans l'eau à essayer de remonter sur la planche quand il se met à hurler, à se déchirer la gorge d'épouvante.
Les clients des bistrots et les mariniers le tirent de l'eau. Une jeune femme sort de la péniche et crie à son tour : un corps flotte tout à côté. C'est Émile Ducrau, « le patron » celui des carrières et des remorqueurs.
Il vole la vedette à Gassin qui en profite pour s'éclipser, chipant une bouteille d'alcool qu'il boit à même le goulot pour se remettre de ses émotions : le noyé l'a agrippé dans l'eau.
L'éclusier accourt avec sa machine respiratoire, le patron du bistrot lève et abaisse les bras de la victime, le docteur arrive, le noyé reprend connaissance, «il a reçu un coup de couteau dans le dos » déclare le médecin.
Le surlendemain, le tramway apporte Maigret « du soleil plein les yeux, du bruit plein les oreilles » dû au vacarme causé par le concasseur de pierres.
« La peau moite et voluptueuse comme elle ne l'est qu'aux premiers soleils d'avril », il rend visite à Émile Ducrau. La bonne vient lui ouvrir au bout de quelques minutes en se rhabillant ne laissant aucun doute sur ses ébats avec le patron.

Voilà comment, en dix pages, nous sommes immergés dans une nouvelle enquête de Maigret, tous les sens en éveil, prêts à un nouveau voyage dans le temps au bord de la Seine que nous ne quitterons pratiquement plus des yeux jusqu'au dénouement de l'affaire. le microcosme de l'écluse n°1 nous happe et, en même temps que le commissaire, nous rentrons dans un nouvel univers : deux bistrots faisant face au quai, les péniches qui occupent le canal, le concasseur de cailloux, quelques maisonnettes et, dominant ce décor bien vivant, la haute maison de six étages des Ducrau.
Maigret va mener son enquête, comme à son habitude, cherchant à connaitre la victime, son entourage, ses habitudes. Ce sera d'autant plus facile que Ducrau n'est pas mort et que, bien que refusant de dénoncer son agresseur, il livrera l'histoire de sa réussite non sans une certaine fierté. Travailleur forcené et grand jouisseur, fort en gueule, il ne laisse personne indifférent avec sa parole agressive et cynique. Il n'a de cesse de provoquer sa famille qui encaisse le flot de ses réflexions blessantes. Sa pauvre femme, à l'attitude et l'apparence piteuses, tremble devant lui. Sa fille est mariée à un raté qui louche sur sa fortune. Son fils, logé au 5è étage a une santé fragile et même sa maîtresse installée dans son propre immeuble le déçoit.

Bien au-delà de l'enquête policière, réussir sa vie ou réussir dans la vie, tel est le thème centrale de cette histoire tragique. Simenon insiste sur les changements de regards que Ducrau portent sur Maigret, tantôt agressifs ou triomphants, tantôt tristes ou résignés, laissant voir les amères déceptions de l'orgueilleux propriétaire. C'est davantage un drame inhérent aux sentiments humains qui s'apparente donc plus à un roman noir qu'à un roman policier.

Si l'on connaît un tant soit peu la vie de Simenon, on ne peut s'empêcher d'y trouver des similitudes. Il vivait lui-même avec femme, maîtresses et bonnes, sans compter les maisons de passes, et il avait du mal à choisir entre les mondanités parisiennes et la simplicité provinciale.
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