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Critique de morganex


Dans ce tome daté de 1934 (19ème de la série), Maigret est déjà jeune retraité. Ce roman semble avoir été le dernier d'une première série (que l'on me corrige si je me trompe). Simenon n'est pas à une approximation chronologique près dans le cursus de son héros. le défilé des tomes s'arrange souvent avec l'age supposé du commissaire. L'auteur agit en fonction de ce qui l'arrange. Maigret était policier avant, il le sera encore après la retraite.


Or donc, l'homme à la pipe coule de vieux jours heureux sur les bords de la Loire: nature, grand air et pêche à la ligne. Avant son départ de la P.J. il y a casé comme inspecteur son jeune et insignifiant neveu. Or ce "benêt" fait des siennes un soir dans une boite de Pigalle. On l'accuse d'avoir assassiné un membre de la pègre. Il vient chercher l'aide de son oncle en jurant qu'il n'est pas coupable. Maigret, en sauveur de l'honneur familial, est ainsi de retour au Quai des Orfèvres. Mais il n'y a plus ses entrées. Pour lui, un sacré casse-tête pointe son nez... la suite appartient au roman.

Le fait est qu'ici, dans ce tome précis, Maigret, pour atteindre son but d'innocenter son neveu, démarre en position de handicap. Il est seul (ou presque). Il n'est plus qu'ex-fonctionnaire en rupture d'assermentation; il ne peut ajouter le poids de la machine judiciaire à son propre poids. Il y a, en outre, via le poids du passé, tant de rancoeur dans l'air, tant du côté maffieux que de celui de quelques uns de ses anciens collègues.

Maigret n'est plus commissaire. Il n'a plus le droit d'enquêter. Il le fera pour son propre compte, en léger dépassement constant de la légalité. S'il franchit lourdement la frontière, il ne pourra aller plus loin: la police s'est arrangée du coupable débusqué, les truands activeront leurs faux alibis et avocats dévoués. Maigret marchera sur des oeufs, tout lui sera sable mouvant même s'il connait sur le bout des doigts le terrain où il évolue. L'expérience qu'il a de Pigalle et de sa pègre; l'habitude des règles du Milieu, de ses rites et coutumes; le réveil de ses anciens repères au milieu des truands et malfrats, seront ses instruments vers le succès.

Ses méthodes habituelles seront improductives, et il le sait et le Milieu ne l'ignore pas. Pour atteindre le coupable il devra se réinventer, emprunter d'autres chemins non pas tant de déductions logiques (il croit savoir rapidement qui est le coupable) et d'immersion dans le milieu dans lequel il plonge (tout le monde le connait, lui et ses méthodes) que de persuasion et de manipulations poussant le criminel à la faute. La retraite, comme un boulet à ses chevilles, une entrave à sa "manière policière habituelle"; sa réaction sera d'obliger ses adversaires à se démasquer.

Le présent tome sobrement intitulé "Maigret" aurait pu être "Maigret met la pression".

Simenon, à mon humble avis, se lance ici un défi: celui de réinventer son héros, de nous le montrer sous un autre angle, celui combatif et mordant de la teigne qui ne lâche pas sa proie, qui va la pousser à l'erreur. Cet objectif fera que ce Maigret nouveau, plus persuasif qu'immersif, plus pressé que patient, prendra toute la place au détriment d'un background humain qui apparaîtra en contraste bien palot, pas à la hauteur du héros. le tome est consacré à la pègre de Pigalle, celle des années 30, celle qui gravite autour du sexe, de la drogue et du hold-up. Si l'auteur nous montre "Messieurs les Hommes", à côté de son Maigret déterminé et fort dans sa tête, c'est pour les cantonner, cul sur une chaise, au bistrot et à la belote, à la recherche de faux alibis, au respect de la loi du silence. Les mafiosi sont falots, Maigret n'en parait que plus grand, prenant tout l'espace. C'est le seul défaut du roman.

Simenon pouvait t'il nous raconter cette histoire sans faire de Maigret un retraité ? Non, c'était impossible. La mécanique de l'enquête aurait du être tout autre et l'histoire aurait perdu son charme. Cet état en retrait imposé à un Maigret entravé est, à mon sens, le fait d'importance de l'épisode, son axe principal, son attrait indéniable. Il fait toute la particularité et l'intérêt du récit, l'essentiel du propos. L'idée maîtresse de Simenon fut celle, me semble t'il, de cadenasser Maigret dans une logique d'enquête officieuse et de voir comment son héros allait s'en sortir. L'auteur semble se poser au-dessus des débats, imposer un défi à son héros en ayant l'air de lui dire: "Allez vas-y, montres nous que tu es capable d'agir autrement..!". Simenon doit ainsi, loin des ficelles habituellement en action, presque réinventer un autre héros, celui-ci fonceur et agressif, peu immersif et observateur. Tout est dans l'action, la persuasion forcée, la manipulation rusée. Il y a un contre argument de poids à ma thèse: la longue, lente et magique scène dans laquelle Maigret à son habitude observe en silence ses cibles 12 heures durant, assis silencieux au fond d'un bar. Autre bémol: je ne connais pas suffisamment Maigret pour être catégorique et conforter mon propos quand d'autres épisodes ont bien du montrer le commissaire entravé dans son action, ceux par exemple dans lesquels il est à l'étranger.

"Maigret" n'est pas le meilleur épisode de la série. Mais j'y ai trouvé néanmoins plaisir à le lire via son côté "autre" et l'impression d' y avoir débusqué un héros différent, un profil d'homme déterminé à défendre ses proches. La famille de Maigret, lui comme chef de meute et justicier solitaire, face à celle du Milieu et celle du Quai des Orfèvres.

NB: Il en existe une adaptation: "Maigret", téléfilm français de Claude Barma, avec Jean Richard, diffusé en 1970
Lien : https://laconvergenceparalle..
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