Est-ce que je ne viens pas de foutre le bordel dans l’histoire du monde ? Autour de moi, rien ne semble avoir bougé, mais comment savoir ?
Mon cœur se met à battre la chamade, tempo 180, allegrissimo con fuoco.
Gigamerde et mégafuck !
OK, top 5 des raisons qui prouvent que je n’ai pas bouleversé l’ordre des choses :
5. Tout d’abord, le big bang. Ça, pas de problème, c’est attesté.
L’univers est encore là. Plutôt pratique, je dirais.
4. Oui, mais les dinosaures, l’humanité, l’évolution ?
Pas de stégosaures à l’horizon. Une chance ! Déjà que dans les rues de New York, c’est la jungle…
3. La découverte de l’Amérique, ça, c’est clair, c’est acté.
Je ne suis pas dans un tipi avec une plume dans les cheveux, même si j’aime le style.
2. OK, mais quid des événements depuis 1963 ?
Je coche mentalement et à toute vitesse ce qui défile devant mes yeux : les ordinateurs, les imprimantes, les téléphones portables, Hello Kitty. Hello Kitty ?! Recentrons-nous !
1. Et… et si ce que j’avais dit à Max avait tout changé et que finalement… Kennedy ne mourrait pas ?!
Des fourmillements me prennent. Je ne sens plus mes mains. La dernière fois que ça m’est arrivé, c’était lors de ma grande audition de clarinette, à l’âge de 16 ans. Là, c’est autrement plus sérieux.
Reprends-toi, bordel, Emily, reprends-toi !
Je saisis mon téléphone au fond de mon sac. Pas le temps de réfléchir : j’appelle Serena. Ça décroche direct, ouf !
– Allô Emily ? fait-elle d’une voix douce et mélodieuse.
– Kennedy, il est mort ? lui lancé-je tout à trac, haletante.
– Hein ? Bonjour quand même. Emily, tout va bien ? Tu sembles… bizarre.
– Se-re-na, Kennedy, il est mort, oui ou non ? la coupé-je, dents serrées.
– Je comprends rien, Emily, tu commences à me foutre les jetons…
– C’est super important, l’interromps-je. Réponds-moi, je t’en supplie ! me surprends-je à hurler presque.
– Oui, bien sûr qu’il est mort ! Enfin, ça fait un bon moment, hein. Si tu viens de l’apprendre, je
crois que t’as pas mal de rattrapage à faire côté faits historiques.
– Donc il est bien mort ! m’exclamé-je avec un ton de soulagement. Et ça s’est passé quand ?
– Ben, Emily, tu me poses de ces questions, tu…
– Quand, Serena ?!
– Le 22 novembre, à Dall…
– Bordel ! Oh oui, putain de Dieu, merci, merci, merci, trop génial, Kennedy est mort, c’est la plus belle nouvelle du monde ! Tu es extra, Serena !
– Euh… si tu veux. Mais tu sais, si ça te fait autant kiffer, les gens qui crèvent, sache qu’il y en a d’autres, hein : Marilyn Monroe, Elvis, Tupac, Michael Jackson.
Éviter de faire des choses dangereuses, très bien, mais si vous ne nous expliquez pas ce dont il s’agit, ça va être compliqué !
Nous avons soif de découvertes, ensemble. Je veux tout voir, et Max veut tout me montrer ! Et commencer par ici, c’était une évidence. Il le fallait. Le Village, c’est le quartier de ma jeunesse, ce sont mes racines, et ça me fait quelque chose d’être là avec lui.
C’est fou. Les voitures ont des formes si originales. J’ai l’impression de voir un film de science-fiction, sauf que je sais que c’est la réalité.
L’ivresse du plaisir brouille mes sens. Je ne peux plus penser. Je ne peux que sentir. Ressentir. Je ne suis plus qu’un corps soumis à la conversation de l’amour, oscillant frénétiquement, sans autre voie qu’une fuite en avant. Tout bouillonne. Mes mains virevoltent dans les cheveux de Max, et je tiens son visage tout contre mes seins. Notre frénésie semble sans fin.
Et soudain, c’est une tornade qui balaie tout dans mon esprit et dans mon corps. Je hurle. Le plaisir est tellement fort que je tressaille violemment à m’en frapper le dos contre le mur.
Nous n’arrivons soudain plus à nous retenir et nous nous embrassons éperdument. Nous ne pouvons nous permettre de trop analyser la situation. Nous risquerions de trouver une faille. Pour l’instant, il n’y a qu’une vérité qui compte : notre désir est bien réel et, si j’en crois la lueur qui brille dans le regard de Max, il est urgent de le satisfaire.
Rien n’a changé. Le feu rouge est passé au vert. Des passants s’arrêtent. La vie est tout à fait normale. En 1963, par contre, c’est le drame. C’est à la fois perturbant et irréel. Je ne sais toujours pas si je dois vraiment y croire…
Pour en avoir le cœur net, je passerai en 1963 tout à l’heure, en fin d’après-midi, le temps que tout le monde, là-bas, accuse la nouvelle. Je reprends une gorgée de café. En reposant la tasse sur le comptoir, je me surprends à trembler. Les événements ne me laissent pas insensible, et il est difficile de ne pas être sous le coup de l’émotion.
On ne peut pas modifier l’histoire, ça ne fonctionne pas comme ça. Ce serait complètement dingue ; du grand n’importe quoi.
– Et donc Castro abandonne le communisme ? demande-t-il d’un ton sceptique et amusé.
– Lui, c’est particulier. On va dire plus ou moins. Il est encore vivant, mais c’est son frère Raúl qui dirige désormais. Et du coup, le pays s’est beaucoup ouvert. Les États-Unis ont de nouveau une ambassade à La Havane, et Raúl Castro s’est rapproché de notre président, Barack Obama.
La guerre froide a eu des moments critiques, mais il n’y a jamais eu de conflit direct entre les États-Unis et l’URSS. Ça s’est toujours passé par pays interposés. Et puis, finalement, le communisme s’est effondré de lui-même, à la fin des années 1980, et l’URSS avec lui. La plupart des pays ont plus ou moins retrouvé leur autonomie. L’Allemagne s’est même réunifiée !