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Critique de Levant


« Pas un bruit, pas un chuchotement, c'est le moment que tous attendent, le moment où l'alchimiste livre le secret du grand art. »

Paul Vivienne n'est plus dans le coup. Il est en fin de carrière et se montre réfractaire aux pratiques modernes. Il digère mal de savoir internet vider les salles. Il aime voir tous les rangs occupés par les aficionados des salles de ventes, enchérisseurs potentiels dont il sait détecter le moindre mouvement d'index, de paupière ou de menton pour ne rien rater du crescendo des enchères. Il est commissaire-priseur. Certains diraient que c'est un « has been ».

Peut-être, mais avant de rendre son marteau d'ivoire, il lui faut un coup d'éclat. Un gros coup. Histoire de montrer que les vieilles méthodes ont encore droit de cité. Ce coup, il pense l'avoir trouvé lorsqu'il doit assurer la liquidation de l'héritage d'une famille italienne : un retable découvert dans une chapelle pourrait non seulement s'avérer dater de la Renaissance, mais en outre remettre en question la chronologie de l'évolution de la peinture italienne. de quoi faire la nique à la génération montante. Elle qui ne sait que lire les écrans et non décoder les mimiques, les regards, et détecter l'enchérisseur avant qu'il ne s'exprime.

Bataille d'experts, restauration par un petit génie, l'oeuvre est finalement inscrite en bonne place au catalogue de la vente. L'affaire se présente bien. Paul Vivienne assure son baroud d'honneur. Mais quel est-il ce grand art ? Celui de l'artiste originel, du dénicheur de l'oeuvre, de l'expert certificateur, du commissaire-priseur ou bien celui d'un mystificateur ?

C'est avec une écriture résolument moderne que Léa Simone Allegria nous invite à cette fin de règne du commissaire-priseur. Un style lapidaire, des phrases courtes, parfois un mot entre points. Des dialogues qui ne s'annoncent pas et s'immiscent dans le coeur de la narration sans introduction de l'intervenant. Des interventions en version originale en italien, en anglais, en allemand. À toi lecteur d'avoir l'esprit alerte pour franchir les frontières et saisir la mondialisation du discours. Et bien sûr, quelque chose qui ne plaît pas à notre commissaire-priseur : les incursions des réseaux sociaux. Ils exercent leur tyrannie à renfort de hashtags, vibreur dans la poche et autre langage abscons à qui ne se sert d'un téléphone que pour téléphoner. Et enfin cette impression que l'histoire se construit au fil des pages, des chapitres. Qu'elle ne répond à aucun plan. Comme prise sur le vif dans la tourmente qui aiguillonne les protagonistes.

Le résultat est bluffant. Je me suis laissé embarqué sur la vague à l'insu de mon plein gré. Une fois le rythme adopté j'ai franchi les frontières avec ce commissaire-priseur qui ne sera en outre pas insensible aux charmes de ces femmes de tête qui lui tiennent la dragée haute. L'héritière, la jeune experte. Elles n'ont pas froid aux yeux ni la crainte d'affronter les éminents bien assis dans leur notoriété.

Un roman très crédible, superbement documenté et spécialisé. On sent bien qu'il y a du répondant sur le sujet concerné et son environnement. Un roman qui bouscule mais ne déstabilise pas. Passé le choc du style, c'est une affaire de rythme à adopter et au final très réussi à mon goût.
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