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Critique de jazzman


C'est toujours avec autant d'enthousiasme et de délectation que je lis un ouvrage des frères et soeur Singer. Israël Joshua, frère aîné d'Isaac mais frère cadet d'Esther, raconte ici en détails sa jeunesse au tournant des XIXème et XXème siècle à Leoncin, shtetl situé au centre-est de la Pologne alors sous domination russe. Ce shtetl est un « trou », tels sont ces mots, dans lequel il ne se passe pas grand-chose. A part quelques rares chrétiens, la population y est essentiellement constituée de Juifs pour la plupart modestes. Les parents d'Israël Joshua sont assez mal assortis : sa mère est issue d'une longue lignée de rabbins orthodoxes plutôt rationalistes (mitnagdim) tandis que son père, qui fait office de rabbin, appartient à la communauté des mystiques Hassidim. Même si les uns sont les ennemis des autres, ses parents s'aiment et se respectent. Mais ça n'empêche pas les heurts : Basheva reproche à son mari de ne pas avoir passé l'examen de russe qui lui permettrait d'avoir le statut officiel de rabbin, d'être plus correctement rémunéré et d'offrir une vie meilleure à ses enfants. Oui mais voila : pour Pinchas Menahem le Hassid, la vie se résume en une phrase :  «  Avec l'aide de Dieu, tout ira bien ». Et c'est bien en effet autour de la religion et de son respect scrupuleux que tourne la vie du shtetl. Presque tout le monde applique au pied de la lettre les 613 mitsvot édictées par le Talmud. Disons au passage que même si elles sont nombreuses en Pologne où elles représentent 10 % de la population, les communautés juives n'ont pas d'autre choix que de vivre repliées sur elles-mêmes car au-delà des pogroms perpétrés par les Goyim, le risque le plus certain est celui de l'assimilation. Israël Joshua nous explique que ceux qui se sont convertis à la foi des Gentils sont exclus sans ménagement de la communauté et qu'une honte durable pèse sur leur famille l… le carcan de la vie juive traditionnelle commence tôt : dès trois ans, Israël Joshua est inscrit au heder (école primaire juive en Europe de l'est avant la Shoah), où il commence à apprendre l'hébreu biblique à travers les textes sacrés. Lui et ses camarades sont nourris de Torah, de Mishna et de Guemara qui occupent une place démesurée dans leur vie d'enfant où le jeu est considéré comme une perte de temps. Israël Joshua profite d'ailleurs de la sieste des adultes le jour de Shabbat pour aller jouer dehors avec ceux de son âge. L'ancrage dans un mode de vie juif jusqu'au-boutiste est tel qu'à aucun moment il n'est fait mention de la fréquentation éventuelle d'une école publique polonaise par les enfants juifs ! Il y a fort à parier que celle ci ne soit pas obligatoire au tournant de ce siècle. Israël nous dit d'ailleurs que son père dont la famille est implantée en Pologne depuis de nombreuses générations, ne connaît que deux mots de polonais. le shtetl est un territoire étranger en Pologne et toute intrusion d'une vie profane et non juive semble y être soigneusement évitée. Dans cette société traditionnelle, la place accordée aux femmes est très variable. Leur éducation et leur instruction ne sont pas des priorités, leur rôle consiste essentiellement à mettre des enfants au monde, à s'occuper du foyer mais aussi à travailler pour pourvoir au besoin d'une famille dans laquelle le père se doit de se concentrer exclusivement à l'étude des textes sacrés ! La mère des enfants Singer ne correspond pas au schéma traditionnel : elle est instruite et tient tête à son mari. Peut-être est-ce du au fait qu'elle vient d'une plus grande ville,Bilgoraj, où se mêlent des communautés juives plus hétéroclites. C'est d'ailleurs toujours avec enthousiasme qu'Israël Joshua passe des vacances chez ses grands parents maternels ; certes il étudie, mais il mange bien aussi, se promène, observe, discute… bref mène la vie d'un enfant presque standard ! Israël Joshua ne peut d'ailleurs être que presque standard car il demeure un enfant du shtetl, prisonnier d'un dogme qui, si sordide soit-il, permet aux communautés juives de perdurer sans jamais céder à la tentation de l'assimilation. Les Juifs vivent mal et ont un besoin désespéré de croire en la venue du Messie, ce rédempteur qui arrivera sur un nuage gris pour les ramener vers le pays d'Israël. Et quand les nuages s'amoncellent, ils espèrent, ils sont sûrs mais… rien ne se passe ! Israël Joshua porte un regard très sceptique sur les croyances et pratiques de sa communauté et va même jusqu'à se révolter : comment ce Dieu d'Amour a-t'il pu laisser mourir ses deux petites soeurs de la scarlatine ? Comment ce Dieu d'Amour a-t'il pu laisser découper à la hache un couple de vieux Juifs exemplaires ? La révolte gronde chez ce fils de rabbin...Ce livre publié en 1946, soit deux ans après le décès de son auteur, est inachevé. Quel dommage ! Je sais pour l'avoir lu ailleurs qu'Israël Joshua a fini par couper ses papillotes et prendre de grandes distances par rapport à la religion. Mais j'aurais aimé le lire de sa propre plume … le texte allemand est beaucoup plus riche et très certainement plus fidèle au texte original en Yiddish que le texte français, ce qui est sans doute du au fait que cette langue est constituée de 80 % d'allemand. Chers lecteurs, si vous savez l'allemand, lisez ce livre en allemand ! Si ce n'est pas le cas, sachez que cet ouvrage est l'oeuvre d'un excellent conteur et lisez-le tout de même !
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