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Critique de Antyryia



Sur le Dark Web, m'a-t-on dit, on peut trouver tout ce qui est inaccessible via google.
Alors je sais bien que ça n'est pas très légal, mais par les voies classiques je n'ai jamais trouvé ce que je cherchais.
Conscience animale, le premier roman de Franck Thilliez.
Et je vous assure que ça n'est pas faute d'avoir fait tous les sites, les brocantes, les foires aux livres.
C'est ainsi que je me suis retrouvé dans les tréfonds de la toile, les méandres de la folie d'internet.

Eh bien c'est pas sain tout ce qu'on y trouve !
Mon regard passe rapidement sur le sommaire : Armes, Besoin de volontaires pour mon nouveau roman, Bombe, Bombe nucléaire, Chair humaine à déguster, Comment tuer son conjoint sans se faire prendre pour les nuls, Drogues dures, Enfant tuant sa mère à coups de fourchette, Femmes de l'Est, Greffes d'organes ( on vous trouve un donneur ), Meurtres, Pédopornographie, Prêteur sur gages, Sectes adaptées à votre personnalité, Thilliez : Conscience animale, Tueur à gages, Vidéos de lapidations …

Dans ma fascination macabre mêlée de dégoût j'ai failli le louper mais le voilà, il est là le sésame ! Je clique sur l'icône et mon futur livre apparaît. Je m'attendais à des malfaiteurs mais pas du tout, les deux exemplaires sont vendus dix bitcoins pièce, et les transactions sont parfaitement sécurisées.

Je vais sur la façade web de l'usurier pour échanger quelques euros mais un bitcoin c'est 10 000 balles, et pour le même prix je peux m'acheter un crâne de nouveau-né conservé dans le formol. L'homme d'affaire, voyant que ne disposait pas d'une telle somme, me propose un prêt fort intéressant avec un remboursement en trois mensualités de 50 000 €. Cependant j'ai lu les petites lignes : Pour chaque jour de retard j'allais mesurer un centimètre de moins. Fallait que je trouve une autre idée. Il me le fallait ce livre, ce Saint Graal, coûte que coûte.

Je continue à surfer sur ces fenêtres ignobles et revient à cet auteur qui a besoin de volontaires pour rédiger son futur manuscrit et qui se fait appeler Sir Cedriec. Sûrement un pseudo. Mais mon petit doigt me dit qu'il s'agit de l'auteur de Vindicta ou de Angemort, qui change régulièrement d'identité au prix d'anagrammes complexes ( Sire Cédric, Cédric Sire ). Je me connecte moi même avec mon nom d'emprunt, Antyri@261275 pour lire son annonce.« Cherche huit volontaires pour participer à une expérience inédite. Dix bitcoins à remporter."

Quelques jours plus tard, j'apprends, alerté par un pop-up, que je fais partie des huit nominés et que je dois me rendre dans un hôpital désaffecté en pleine cambrousse, à deux heures du matin.
Etre nominé, c'est chouette. Ca donne un petit côté Nouvelle star. Je vais peut-être passer à la télévision.

J'y retrouve mes sept compagnons d'aventure, tous intrigués et excités. LordBeli@l.666, Immort@l.666, M@rduk.666, Lolit@666, M@yhem.666, Gr@veland.666 et M00nspell.1755.
Revêtu d'une cagoule ne cachant pas ses longs cheveux bruns ni ses yeux bleu, Sir Cedriec apparaît et nous demande de le suivre dans une salle afin qu'on écoute ce qu'il a à dire. Un peu comme le professeur quand il explique le déroulement du braquage de la banque d'Espagne à ses complices dans la première saison de la casa del papel. J'espère quand même ne pas avoir mis les pieds dans une affaire trop louche.

- Bonjour à tous. Je vais vous demander de ne pas m'interrompre pendant quelques minutes et de vous concentrer sur mes propos.
( Ca semble d'ores et déjà compromis pour Immort@l.666 qui peine à rester debout et qui pue le whisky )
- Je suis un auteur de thrillers policiers et horrifiques que vous connaissez peut-être, peu importe. Je suis en train de finaliser mon nouveau roman qui devrait s'intituler La saignée, qui aura toujours ma marque de fabrique mais avec une touche de psychologie en plus. Grâce à mon héroïne que j'ai souhaitée la plus complexe et ambiguë possible.
Elle s'appelle Estel Rochand, elle ne vit que par et pour la violence, mais j'ai essayé de la rendre attachante. Est-ce compatible ? Ca sera au lecteur de décider. Il devra aussi s'interroger sur cette question : A partir de quel moment la violence n'est plus acceptable, plus justifiable, plus pardonnable ?
Estel a toujours évité de perdre pied grâce aux sports de combat, fuyant une enfance difficile. Elle a du abandonner les compétitions. A peine entrée dans la police, encore stagiaire, animée des meilleures attentions du monde, elle a tué une innocente et a été priée de dégager. Désormais, c'est le métier moins noble d'agent de sécurité qui paie les factures et lui permet au passage de fracturer quelques mâchoires dans le monde de la nuit parisienne, aussi peu reluisant que les personnes qui l'embauchent. Qui ferment les yeux sur les prostituées qui fréquentent leur établissement. Qui jouent les vieux pervers libidineux avec les jeunes femmes qui les accompagnent avec le sourire et les quittent tabassées et en larmes.
Et c'est au service de personnes aussi puissantes et perverses qu'Estel doit travailler en fermant les yeux sur tout ce qu'elle voit de malsain.
Mais elle a un exutoire. A chaque fois qu'elle voit sa psychiatre, elle disparaît ensuite et revient vingt-quatre heures plus tard, souvent blessée, sans un mot pour son compagnon de toujours, de plus en plus inquiet. Ses malaises et ses pertes de mémoire sont de plus en plus fréquents. Une énigme silencieuse.

- Parallèlement se déroulera une enquête policière, d'abord en filigrane puis de plus en plus présente. Et c'est pour recomposer les crimes et rédiger un prologue happant le lecteur immédiatement dans l'horreur que je vous ai tous fait venir ici. On va participer à un jeu de rôle.

- Eh ben il était temps qu'il arrête son baratin, dit M00nspell1755 à son voisin LordBeli@l.666.
- Ben on s'en fiche un peu de la raison pour laquelle il a organisé tout ça, moi je suis venu pour regarder et avoir mes bitcoins.

Sir Cédriec nous fait avancer et explique leurs fonctions aux participants :
- A l'exception de la belle Lolit@666 et d'Antyryi@261275 vous allez tous entrer ici et attendre la projection du film. Je vous rejoins dans un instant.
Seuls M@rduk.666 le Saigneur aura droit à la parole pour guider le bourreau dans ses actes de torture, et Immort@l.666 le grand Saigneur donnera l'ordre d'exécution.
Anyryi@261275 et Lolit@666 vous me suivez ?

Qu'est-ce qui peut m'attendre tout au bout de ce couloir ? Un rôle en tête d'affiche apparemment.
D'un ton de connivence, je murmure à mon hôte que j'ai lu la grande majorité de ses livres.
Pas de réponse.
Nous pénétrons dans une salle de tortures aux murs fraîchement repeints en rouge, avec un chariot sur lequel repose un nombre incalculable de scalpels, scies, et autres instruments chirurgicaux. Ainsi qu'une chaise avec des lanières rappelant celles où on guérissait les soit disant fous à grand renfort d'électrochocs.
- Assieds toi, me convie Cédric Sire.
Méfiant, je m'installe, mais j'ai déjà rencontré l'auteur deux fois et il s'est toujours avéré charmant et disponible. Quelle raison aurais-je eu de me méfier ?
Je ne connaissais alors pas Dourdeau, écrivain de fiction aussi charmant en dédicaces qu'il était répugnant en dehors.
L'écrivain se charge des sangles autour de mes chevilles, de ma taille et de mes poignets.
- Pour les besoins de mon roman, le bourreau devait à tout prix être une femme. Pour l'attribution des autres rôles, désolé poto, j'ai simplement tiré au sort.
Sur ces mots d'adieu, il tombe le masque pour le confier à la bouchère, et rejoint ses autres invités.

- Fous le à poil !
- Coupe lui les oreilles et mets lui dans le cul !
- Fais une petite perforation sous le menton, énuclée -lui un oeil, replace le dans son nouvel habitacle et recoud la plaie !
En plus de la voix de M@rduk.666 et de celui de mes cris, j'entends des halètements suspects, comme si des voyeurs se masturbaient devant le spectacle.
Et tel un robot dépourvu d'affect ou y prenant même un malin plaisir, la petiteLolit@666 exécute les ordres les uns après les autres.
- Coupe ses doigts de pied et fais lui avaler !
Puis, une autre voix :
- Coupe lui les deux bras et mets lui dans le cul !
( Mais qu'est-ce qu'ils ont tous avec mon anus ? )
- Stop !! intervient Sire Cedric. LordBeli@l.666 toi tu regardes et tu te tais !
Et je ne sais pas ce que vous en pensez mais il est peut-être temps de passer à la mise à mort ? Quelque chose de bien spectaculaire ? On peut l'ouvrir en deux, l'étrangler avec ses propres intestins ?
Tous les regards ont alors convergé vers Immort@l666, le grand Saigneur, qui cuvait son whisky et était profondément endormi.
Des cris de frustration proviennent de tous les autres participants mais les règles sont les règles. Lolit@666 est rappelée, Sir Cedriec leur fait un virement Paypal de 10 bitcoins comme promis qui apparaîtra avec le nom de Fayardnoir comme débiteur.

Cedrid Sire revient vers moi, l'air un peu confus.
- Désolé poto, ça ne s'est pas tout à fait passé comme prévu. Ca va ? T'as pas l'air bien ?
- Vous n'allez pas me tuer ?
- Ah non, moi je suis écrivain, j'avais juste besoin d'images pour mieux retranscrire la scène et l'état d'esprit de mes personnages. Comme un acteur qui s'entraîne avant une pièce de théâtre.
- Vous pouvez faire quelque chose pour moi ?
- Te tatouer une dédicace ? J'ai pas mon matos avec moi.
- Non, pas ça. Mais j'ai quand même bien mérité mes bitcoins vous ne pensez pas ?
- Ca c'est clair.
- Ca vous dérangerait de m'acheter Conscience animale, le premier Thilliez ? Il est en vente sur le Dark Web et là je ne suis vraiment pas en état d'y retourner.

J'ai repris conscience après un an de coma.
A mon chevet se trouvaient deux livres : le sésame ( enfin ! ) un peu écorné et le nouveau thriller de Sire Cédric, paru quelques jours plus tôt. Avec une dédicace.
"En souvenir des moments partagés, et qui doivent à tout prix rester entre nous. Dès que tu as récupéré n'hésite pas à chroniquer cette saignée, en y mettant un peu d'originalité !".
Et c'est signé Sir Cedriec.

Me voici donc, chers internautes, à vous livrer mes impressions à chaud après cette lecture qui a réveillé de vieux traumatismes enfouis.

Je vais commencer par ce qui m'a le moins plu vu qu'il n'y a presque rien.
La première chose n'est d'ailleurs même pas un défaut, c'est presque le contraire. Mais La saignée évoque le Dark Web, ses connexions ultra sécurisées et son infiltration policière. C'est ultra documenté, probablement réaliste et perfectionniste, mais déjà que je suis une bille en informatique il y a parfois eu surdose de numérique et ça a parfois joué dans la fluidité de ma lecture.
Tout est fait pour donner un rythme d'une folle intensité du début à la fin, le livre est épais mais les chapitres font moins de quatre pages en moyenne et l'intrigue rebondit encore et toujours. Je n'ai pas pu m'arrêter durant la première moitié ni pendant les cent dernières pages, mais j'ai ressenti un petit moment de flottement entre les deux, quelques longueurs ou répétitions, une intrigue qui avançait moins vite. Ca n'engage évidemment que moi.

Quant aux qualités, elles sont réellement nombreuses et Cédric Sire ne s'est pas reposé sur ses acquis. Alors oui, on retrouve sa plume, son côté horrifique, son côté effréné, qui sont déjà autant de raisons de le lire et de lui rester fidèle.
Mais là où il m'a le plus bluffé, c'est avec l'originalité et la psychologie de ses personnages.
Estel est telle qu'il avait commencé à nous la décrire dans l'hôpital désaffectée, pour moi un personnage inédit en littérature, une dynamite dont on hésite à saisir la main, immensément triste voire dépressive mais qui cogne au lieu de se soigner en prenant des cachets. On l'accompagne au bord d'un précipice sans véritablement savoir si ce faisant, on choisit le bon camp.
Parce que de près ou de loin, elle est forcément liée à cette histoire. Mais absolument impossible de savoir comment avec certitude.
Le roman tout entier met les femmes à l'honneur, on est très loin des stéréotypes de thrillers où le vilain tueur en série s'en prend à elles les unes après les autres. Elles sont nombreuses à tenir le devant de la scène, chacune dans leur rôle.
Il y a quand même quelques personnages dont on sait quasiment d'avance qu'ils sont du côté des pourris.
Et deux policiers qui feront quant à eux équipe pour remonter la piste de cette Red Room, Bellefonds et Falconnier. La première note tout de façon quasi maladive, le second est totalement obsédé par cette affaire et par l'identité de la femme qui joue les bourreaux. Un duo parfait.
Le casting est complété par une galerie d'acteurs secondaires qui ont tous leur rôle à jouer, notamment pour nous emmener sur de fausses pistes, un jeu auquel excelle Cédric Sire.

Seuls deux de mes doigts de pied ont pu être retrouvés intacts et greffés sur mon corps abîmé. Je commence la rééducation demain.
J'ai mon roman de Thiliez, mais il m'arrive encore parfois de me demander si le jeu en valait la chandelle.
Alors si un dénommé Ser Cidrice vous propose une rémunération en vue d'une expérience d'écriture, pesez bien le pour et le contre.

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