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Critique de Ambages


« Son sexe n'est plus qu'un morceau de verre brisé, un labyrinthe de stries et de fêlures. Une fine paroi de glace sous laquelle flottent des cadavres gelés. »

Adèle souffre. Depuis son enfance, elle a froid. Un manque d'amour, une mère toxique et un père soumis et malheureux, bref, une famille où le froid a cristallisé les sentiments et la mère les a d'autant plus facilement broyés, anéantis. le sexe sera sa manière d'exister et de se détruire jusqu'à ce que cette femme redevienne « une surface sans fond et sans revers. Un corps sans ombre. » Ce qu'elle a toujours été dans le regard de sa famille.

Difficile de grandir en développant une harmonie, une confiance en soi. Adèle a peur. Cette émotion qu'elle connaît avec sa mère qui l'abandonne seule des jours entiers dans une chambre d'hôtel, est la seule qui lui paraisse être réelle. Pour se réchauffer, elle découvre la moiteur de son entrejambe.

« Les hommes l'ont tiré de l'enfance. Ils l'ont extirpée de cet âge boueux et elle a troqué la passivité enfantine contre la lascivité des geishas. »

Adulte elle aura toujours peur. Ce sentiment est réel, il a de la consistance pour elle. Elle est déséquilibrée, toujours sur la corde raide, prenant des risques, sa manière d'exister et cela lui donne le grand frisson. Elle vit une double vie, mère et épouse à certains moments de la journée, chienne lascive les heures restantes, « l'érotisme habillait tout. Il masquait la platitude, la vanité des choses », étendue sous des corps inconnus, elle existe « mille fois à travers le désir des autres ».

Elle trouve un intérêt à cette vie de mensonges, « elle est exaltée, comme le sont les imposteurs qu'on n'a pas encore démasqués. » Mais il ne faut pas se tromper. Ce n'est pas la duperie qui l'apaise de ses souffrances. J'ai plutôt ressenti qu'elle comblait un manque profond d'amour par cette vie de chair violente, furtives et fugaces. Depuis l'éveil de ses sens, elle a découvert un moyen de voir enfin quelqu'un s'intéresser à elle, et tant pis si ce n'est que pour le sexe, c'est déjà un intérêt qu'on lui témoigne. Avec une mère qui rabaisse constamment, elle trouve enfin une petite éclaircie dans sa vie, un espoir.

Mariée et mère, elle sait que cet espoir tient à peu et que l'âge venant, « elle aurait sans doute intérêt à arrêter maintenant, avant que tout s'écroule, avant de ne plus avoir ni l'âge ni la force. Avant de devenir pitoyable, de perdre en magie et en dignité. »

Son époux ne sait rien. Jusqu'au jour où un vieux téléphone blanc à clapet est découvert par mégarde. « Auprès d'Adèle, il a le sentiment d'avoir vécu avec une malade sans symptômes, d'avoir côtoyé un cancer dormant, qui ronge et ne dit pas son nom. » Quel constat ! Il faut dire qu'il est médecin... cela explique sans doute le fait qu'il fasse des comparaisons avec des maladies. Et ensuite ? Une réaction : partir loin de Paris et des tentations, il se fait plaisir. A cet égard, a-t-il cherché, rien qu'une fois, à donner du plaisir de sa femme ?

« Adèle a déchiré le monde. »

Leïla Slimani a déchiré le monde avec son premier roman, Adèle peut laisser certains indifférents, peut choquer ou en émouvoir d'autres selon les ressentis. Mais il reste pour moi que Leïla Slimani trouble, perturbe et déchire. Elle a décrit la souffrance intérieure d'une femme avec une plume qui personnellement me touche énormément.
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