AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de thedoc


« L'affaire Léon Sadorski » est une fiction très riche qui s'inscrit dans une réalité historique parmi les plus noires de la France : celle de la collaboration.
1942, la France est occupée par l'Allemagne nazie. A la préfecture, dans le service des Renseignements généraux, on vit plutôt bien cette situation avec l'occupant, surtout l'Inspecteur Principal Adjoint Léon Sadorski, pétainiste et antisémite. Affecté à la 3e section des RG, le travail du fonctionnaire en tant que chef de brigade affecté à la voie publique consiste à rechercher, contrôler et arrêter les Juifs. Ensuite, direction Drancy et les camps de concentration. Ce boulot lui convient bien et il est bon dans ce qu'il fait. Les Juifs, il les déteste. Après tout, les boches ont bien raison de se débarrasser de ces parasites qui ont envahi tous les secteurs de la société : politique, culture, administration, finances… Ils étaient partout, il était temps de faire le ménage ! Alors du coup, Sadorski n'hésite pas un faire un peu de zèle, ajoutant quelques attributs aux personnes qu'il arrête : « terroriste », « communiste », … histoire d'être sûr qu'on ne les relâchera pas de sitôt. Côté vie privée, tout va bien. Sans enfant, l'inspecteur mène une vie – sentimentale et sexuelle - épanouie au côté de sa femme, sa petite Yvette. Comme tout homme qui se respecte, il a bien eu des aventures et n'hésite pas à reluquer les jolies filles, mais rien ne viendrait ruiner son petit couple qui vit confortablement Quai des Célestins. Tout va donc bien dans la vie de Léon Sadorski jusqu'au jour où les Allemands l'arrêtent et l'envoient faire un petit séjour à Berlin, emprisonné dans les locaux de l'Alexanderplatz, bâtiment qui regroupe les bureaux de la police, une grande partie de ceux de la Gestapo, et qui sert également de vaste dépôt pour les prisonniers. Sadorski, fidèle collaborateur et bon fonctionnaire, va vite comprendre pourquoi on l'a arrêté.

Le printemps était déjà chaud en avril 1942 et malgré l'Occupation, les rues de Paris agréables, les jolies filles se promenant bras dessus, bras dessous sur les quais de la Seine…
Le paysage bucolique s'arrête là car Romain Slocombe ne fait pas dans la dentelle. Son roman, entre le polar et le récit historique, est glaçant. L'auteur, avec moult détails, nous plonge tout de suite dans l'ambiance de ces années de délation et d'arrestations à tout va : les tenues vestimentaires des personnages, le parler et le vocabulaire des inspecteurs, la description des rues de Paris, tout est fait pour immerger le lecteur dans cette époque. Nous découvrons autour de Sadorski qui tient la narration une réalité, celle des activités d'une large fraction de la police française durant les années de collaboration, ses chefs en premier lieu, et de sa participation finalement active au génocide. Car il clair que les Allemands ont pu disposer à loisir d'une participation très volontaire de bons nombres de Français, souvent antisémites, qui profitaient en plus de leur bonne relation avec le régime nazi pour s'en sortir pas trop mal dans la vie de tous les jours. Cette plongée au coeur de ce système est totale et, forcément, écoeurante et abjecte car rien n'est épargné au lecteur entre les scènes de tortures lors des interrogatoires, les magouilles des inspecteurs, la connivence entre les représentants de l'ordre, la Gestapo et la mafia locale. Doit-on alors appeler Sadorski un anti-héros ? Quoi qu'il en soit, c'est un salaud de la pire espèce. Certes un bon flic dans son genre, mais un salaud qui n'hésite pas à abuser de son pouvoir sur les plus faibles. Les autres personnages sont tout aussi abjects, si ce n'est plus, et seul le personnage de Julie, la jeune voisine juive de l'inspecteur, pourrait nous apporter un peu d'innocence dans ce récit bien sombre. Mais là encore, l'esprit pervers et retors de Sadorski salit tout.

Par son sujet, ce roman est donc une lecture dérangeante et qui fait forcément réfléchir. Les propos et pensées de Sadorski sont souvent ignobles et l'auteur, au début du récit, rappelle qu'il ne cautionne pas ces paroles qui sont avant tout le reflet d'une époque. Inspiré de documents et de rapports des archives de la préfecture, « L'affaire Léon Sadorski » donne à voir un pan très sombre de l'histoire de France et des Français. Mais la manière dont les personnages féminins sont décrits, et la façon dont les hommes les perçoivent, me laissent mal à l'aise car il ne s'agit plus ici de données historiques – du moins j'ose l'espérer. Qu'elles soient dépravées, manipulatrices ou vénales, ou encore tabassées, torturées, violées, les femmes chez Romain Slocombe ne sont perçues qu'à travers le prisme du sexe.
Enfin, l'accumulation de détails sur les rues et quartiers de Paris (il m'aurait fallu une carte sous les yeux pour y trouver un intérêt), l'avalanche des noms des services de police français et allemands, m'ont un peu perdue au fil de l'enquête policière. Je l'avoue, je suis arrivée au dénouement sans trop savoir comment…

Je termine en disant que j'ai été soulagée de terminer ce récit : avec une réelle documentation historique et une narration sans temps mort, Romain Slocombe nous entraîne ici dans les abîmes de la collaboration, avec des personnages dont on a qu'une seule hâte : les quitter.
Commenter  J’apprécie          120



Ont apprécié cette critique (11)voir plus




{* *}