Un flot d'images envahissait à présent son esprit. Sa pensée se figea soudain sur l'une d'elles. Deux semaines auparavant, il était parti en promenade à l'extrémité des Alpes bernoises, dans une région où il adorait faire de belle randonnées. Entre Engstlenalp et Jochpass, sur la droite, il avait regardé une minuscule langue de glace à flanc de montagne. Subitement,il avait eu un flash: alors qu'il était enfant, son père l'avait emmené exactement à cet endroit, et il avait regardé dans la même direction.
Il y avait un glacier.
Le progrès vient de l'humanité entière. Pas d'une partie d'entre elle.
Regardez ce poignard : il s’agit d’une pièce unique au monde, d’une valeur inestimable. Il a appartenu au premier roi de la dynastie Ming, qui l’a souvent utilisé personnellement pour une technique connue sous le nom d’épluchage de la peau. Ce bon roi était d’origine pauvre et détestait les fonctionnaires corrompus. Lorsqu’il en coinçait un, il estimait parfaitement normal de lui faire subir cette torture. Au début, il l’exécutait lorsque les gens étaient déjà morts. Mais plus tard, il a décidé de l’appliquer aux vivants. La technique la plus courante consistait, avec ce couteau, à séparer les couches de peau du reste du corps à partir de la colonne vertébrale, à éplucher doucement la peau. Comme, à l’époque, on était très raffiné, une seconde méthode a été imaginée : le condamné était enterré entièrement à la verticale, seule sa tête sortant du sol. Ensuite, la peau du crâne était ouverte en forme de croix, et on y incorporait du mercure. Ce métal liquide, comme vous le savez, a un poids spécifique très élevé. Par conséquent, en s’écoulant, il détachait la peau du reste du corps. Le corps se débattant naturellement contre la douleur, il était alors expulsé du sol, mais la peau de la victime, elle, restait sous terre…
Lors du trajet retour, elle faillit éclater de rire lorsque son cavalier lui proposa de venir boire un dernier verre dans son appartement de la rue Zurlinden : elle pensait que la phrase éculée n’était plus guère prononcée que dans des séries Z au cinéma, ou dans des romans à l’eau de rose. Non ! Cela existait encore bel et bien à l’époque des raves parties, des speed dating et des sites de plans cul. Vu sous cet angle, cela présentait d’ailleurs un certain côté vintage presque rafraîchissant…
…elle respirait l’intelligence. La moindre de ses phrases paraissait être le résultat d’une dissertation approfondie et elle avait une capacité sidérante pour faire passer le maximum de messages avec le minimum de mots. Elle aurait sans doute réussi à faire comprendre les principes de base de la relativité restreinte ou de la cryptographie quantique en quelques mots à quiconque disposait d’un QI supérieur à celui d’un pétoncle.
— Qu’est-ce que vous croyez, mon vieux ? Parce qu’on est universitaires, on devrait vivre en reclus, comme dans un monastère ?
— Vous avez raison. Excusez-moi. Donc, vous utilisez également les réseaux sociaux, vous faites des recherches sur Internet, vous avez des cartes de fidélité de certaines enseignes, vous utilisez des GPS, des smartphones, vous lisez des livres électroniques, et que sais-je encore…
— Comme tout le monde !
— Et de ce fait, comme tout le monde, vous générez, à votre insu, des données. En très grandes quantités. Celles-ci ne s’évaporent pas dans l’atmosphère. Elles sont stockées.
Il n'en reste pas moins que cette question me hante : ai-je artificiellement forcé le cours du destin en utilisant intensivement les réseaux sociaux ?
Les choses semblaient s'éclaircir quelque peu dans son esprit : le sage est celui qui est capable d'habiter le présent comme s'il était l'éternité.
Je suis convaincu que l'humanité a le progrès inscrit dans ses gènes et donc que tôt ou tard, ce dernier manifeste sans avoir besoin d'une intervention extérieure.
Nous sommes le produit d'un processus de sélection naturelle dans lequel le hasard tient une place de premier choix. Ca nous a amenés à un stade où, grâce aux technologies modernes, nous pouvons supprimer ou réduire cette part aléatoire.
Mais ça revient à dénaturer l'humanité, à la replacer par quelque chose d'autre.