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Critique de Glaneurdelivres


Quels sont ces hommes, ces femmes, ces enfants, aux cheveux noir corbeau, aux yeux cernés de suie, dont l'apparence vestimentaire rebute, qui ne se nourrissent pas d'électricité et d'eau pure, mais de soleil, d'étoiles et de boue ?
Qui sont-ils, ces gens qui tremblent de peur devant Durga, la redoutable déesse de la guerre et devant Kali la noire, la déesse de la mort chez les Hindous ?
Ce roman de Martin Smaus nous invite à les découvrir.
Ils sont différents… leurs différences dérangent… et ils vont subir…

« Petite, allume un feu… » est un roman tchèque, étrange et envoutant.
On y découvre une famille, les Dunka. Ils sont fiers, attachés à leur tribu. Ils éprouvent beaucoup d'amour les uns pour les autres. Ils ont beaucoup de respect pour leurs anciens.
Mais leur drame, c'est qu'ils sont déracinés, et rejetés constamment.

Le personnage principal de ce roman, est arraché très jeune au hameau slovaque de sa famille tzigane : c'est Andrejko.
Il est malingre, mais habile. Il est misérable, mais idéaliste.
Il ne cesse de fuir, - que ce soit ses oncle et tante, qui vivent à Prague, et l'obligent à mendier et à voler, - la maison de correction, - une ville industrielle où il tente de s'intégrer vainement, - ou un asile.
Il retournera une deuxième fois au berceau familial déserté, dans les montagnes, avec sa belle petite cousine.

Cette jolie cousine, Anetka, va mette au monde un enfant. Andrejko va devenir alors davantage mature, et responsable, et se distinguera de ses congénères par le fait qu'il ne veut pas vivre des allocations fournies par l'Etat, après la naissance de sa petite fille.
Lui, ne veut pas mendier. Il est courageux. Il veut travailler.
Il est alors fier et heureux… Mais son bonheur sera saccagé encore par la haine atavique entre Blancs et Tziganes, malgré la sympathie de quelques-uns…
« Depuis son plus jeune âge, Andrejko avait dans sa tête, comme marqué au fer rouge, que la vie commençait et s'achevait par le jour d'aujourd'hui et que se souvenir de la veille et rêver au lendemain, ce n'était bon que pour les gadgé… »

Malgré les difficultés de la traduction, la langue imagée, est sensuelle et frémissante.
Elle véhicule l'émotion et donne vie à la société multiethnique tchécoslovaque de l'après-guerre, bouleversée par les changements politiques et économiques qui s'inscrivent en filigrane.
Les Dunka, et avec eux tous les Tziganes de Tchécoslovaquie, vont subir l'invasion des Allemands avec la guerre, puis ce sera l'arrivée des Russes, qui vont repousser vers l'ouest les Allemands…
Ces Russes, qui en nouveaux maîtres, vont confisquer, expulser, violer, et les Dunka vont devoir, une fois de plus, se déplacer pour échapper à tous ces malheurs…

Les Tziganes sont déracinés. On ne veut pas d'eux, mais ils aiment plus que tout, la liberté, et ils arrivent à vivre en osmose avec la nature.
Ils connaissent bien le langage des chevaux, qu'ils savent ainsi maîtriser. Mais avec la modernisation des villages, avec l'électrification, les tracteurs, et les routes en asphalte, ils vont être amenés à ne plus fréquenter les villages et à rechercher la vie facile avec l'argent de l'assistance plutôt qu'à travailler. Et ils seront victimes…
« Les Tziganes morts ou amochés à coups de couteau, ça ne comptait pas ; les enquêtes étaient toujours différées et le docteur modifiait encore volontiers le certificat de décès, car lui aussi aimait bien boire, lui aussi avait besoin des gens du village, et lui aussi n'était qu'un homme… »

Les Tziganes ont des difficultés à se faire comprendre, et parmi eux, les anciens sont souvent analphabètes. Ils ont leur propre langue. Ils parlent le romani.
Les enfants ont du mal à suivre à l'école les cours de tchèque et de russe…

Les Tziganes sont vus comme des parasites, qui goûtent et apprécient plus que tout leur liberté.
Ils ne possèdent rien, ne travaillent pas, volent, mendient, se prostituent, boivent, dépensent très vite l'argent qu'ils ont. Ils sont cigales et non fourmis !
Ils dégradent les lieux qu'on leur attribue. Ils sont rusés, habiles, plus malins que les gadgé.
Les enfants des gadgé ont des vélos, de belles peluches, et les enfants tziganes en sont avides…
Ils savent bien mieux lire sur les visages, estimer les faiblesses de chacun pour extorquer plus facilement.

Mais ils chantent, ils dansent, dansent et pleurent, ont le sens de la famille et du bonheur, sont généreux, savent savourer l'instant, pleinement.
Et la musique est très importante pour eux.
Les Roms sont connus pour être d'excellents musiciens et danseurs.
Le guitariste Django Reinhardt a influencé durablement le jazz en y mêlant la musique tzigane.
En France, leurs talents d'amuseurs publics et de dresseurs de chevaux ont généré des familles du cirque, célèbres, comme les Bouglione ou les Zavatta.

Quand ils chantent, ils fascinent, ils attirent… Il y a en eux une force étrangement séduisante.
Ils aiment faire la fête. Cela fait partie de leurs coutumes.
« …Quelle beauté, quelle douleur que ces chansons qui flottaient comme le vent parcourant l'herbe longue des prairies de haute montagne, enjouées comme le poulain bondissant ça et là dans le pré, flamboyantes comme les sorbiers… ces chansons recelaient un long chemin par les plaines de Hongrie, des feux de minuit et des nuits passées à danser dans la steppe devenue silencieuse, une joie à en perdre la raison, un chagrin et une douleur dont l'homme devait, devait se libérer par les chansons, ainsi que l'amour, pour lequel on mourait si facilement et pourtant si péniblement… »

L'histoire des Roms en Europe commence en 1416-1417. Les Tziganes (ou Roms), exonymes Tziganes / Tsiganes, Gitans (de l'espagnol gitano; de egiptano, parce que les Européens pensaient à tort qu'ils venaient d'Egypte.), Bohémiens, Manouches ou Romanichels,
(Ils parlent le « romani »), étaient à l'origine des nomades de la région du Pendjab, au nord de l'Inde.

Non loin de nous, dans le temps, leur histoire est sombre…
Par les nazis, ils ont été considérés comme un mélange de races inférieures et asociaux.
Rapidement parqués dans des réserves et enfin internés dans des camps de concentration sur ordre d'Himmler, ils ont été assassinés dans des camps d'extermination.
Le génocide contre les Roms a été officiellement reconnu par l'Allemagne, seulement en 1982 !
Si le génocide contre les Juifs porte le nom de Shoah, celui des Roms reste flou.
Pendant la Seconde Guerre mondiale, ils ont été déportés notamment à Auschwitz et à Buchenwald.
Entre 50 000 et 80 000 Tziganes d'Europe sont morts des suites des persécutions nazies.
Mais chose moins connue, les Tziganes ont aussi participé à la résistance armée notamment en France, en Yougoslavie, en Roumanie, en Pologne et en U.R.S.S. !

Les Roms sont mentionnés pour la première fois dans un texte officiel de l'ONU d'août 1977 de la Sous-Commission de la Promotion et de la Protection des Droits de l'Homme, exhortant les pays « qui ont des Tziganes (Romanis) à l'intérieur de leurs frontières, à accorder à ces personnes la totalité des droits dont jouit le reste de la population ».

L'auteur de ce roman, Martin Smaus, ne juge pas.
Il constate le comportement et la façon de vivre de chacun
- gadgé d'un côté - et Tziganes de l'autre… qui sont tellement différents !
Les épreuves endurées par Andrejko, le jeune Tzigane écartelé entre plusieurs cultures, aident à mieux comprendre ceux qu'on appelle aussi
« les gens du voyage ».

« Petite, allume un feu… » est un roman que j'ai trouvé vraiment talentueux, qui permet de mieux connaître ces hommes et ces femmes, ce peuple qui ne peut se sentir bien que lorsqu'il peut goûter pleinement à son enivrante liberté.
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