Intégrale, tome 2 : Hyperborée et Poséidonis

"Pourquoi ne m'as-tu pas prévenu ?
- Mon avertissement aurait-il été d'une quelconque utilité ? contra le serpent. Malgré toute ta science, Malygris, il était encore une chose que tu ignorais, et que tu ne pouvais apprendre d'aucune autre manière.
- Que veux-tu dire ? s'enquit le magicien. Je n'ai rien appris hormis la vanité de la sagesse,
l'impuissance de la magie, l'inanité de l'amour et la traîtrise de la mémoire... Dis-moi, pourquoi ne puis-je rappeler à la vie la Nylissa que j'ai connue, ou que j'ai cru connaître ?
- C'était certes Nylissa que tu as évoquée et qui est apparue devant toi, répondit la vipère. Ta nécromancie avait ce pouvoir, mais point celui de te ramener ta propre jeunesse, ni ce cœur fervent et innocent avec lequel tu l'aimas, ni ce regard enfiévré qu'alors tu posais sur elle. Cela, mon maître, était la chose qu'il te restait à apprendre."
[La dernière incantation]

Pendant un instant, ils restèrent stupéfaits. Les changements opérés dans la grotte n’admettaient aucune explication naturelle, et les Hyperboréens sentirent sourdre en eux toutes ces terreurs superstitieuses pour lesquelles ils n’avaient eu jusqu’alors que du mépris. Ils ne pouvaient plus nier désormais la malveillance vivante et pensante, les pouvoirs diaboliques et néfastes qu’imputaient à la glace les vieilles légendes.
[Le démon de glace]

De surcroît, notre chimie se consacre presque exclusivement à la production de puissants agents toxiques, et il n’est aucun usage que nous puissions faire de matières affreusement banales qui composent ton corps, que ce soit pour nos tests ou pour nos préparations. Leur valeur pharmaceutique est nulle. Par ailleurs, nous avons depuis longtemps abandonné la consommation d’aliments naturels impurs, pour nous cantonner à des nourritures élaborées par notre science. Il n’y a donc, tu dois le comprendre, aucune place pour toi dans notre économie.
[Les sept geasa]

Il est aisé d’imaginer la gêne extrême et l’embarras profond que je ressentis, au même titre que les habitants et les magistrats de Commoriom. Comme tout un chacun pouvait en témoigner, Knygathin Zhaum avait été proprement décapité et enterré selon l’usage coutumier : sa résurrection n’était donc pas seulement contraire à l’ordre naturel, elle constituait également une violation de la loi parfaitement outrageante, et pour le moins déroutante. De fait, les aspects juridiques de ce cas étaient tels qu’ils exigèrent l’adoption immédiate d’un décret spécial autorisant la réitération du jugement et de l’exécution des criminels qui auraient l’outrecuidance de revenir de la tombe. Par ailleurs, il régnait dans la ville un état de consternation générale ; et dès ce moment, les plus ignorants et les plus dévots des habitants furent enclins à voir en cette affaire le prélude à quelque calamité civique imminente.
[Le testament d’Athammaus]

Veuillez pardonner à un vieil homme s’il vous semble s’égarer, comme c’est l’habitude des anciens, parmi les souvenirs juvéniles parés de la pourpre majestueuse des horizons lointains et brillants de cet étrange éclat qui illumine les choses à jamais irrécouvrables.
[Le testament d’Athammaus]

Ce fut alors que je remarquai, tandis que nous marchions, qu'entre l'ombre bleue d'Avyctes et la mienne, s'étendait au sol de marbre une ombre qui ne provenait pas des cèdres...
Elle ne tremblait pas dans le vent et se mouvait avec la consistance d'un liquide épais, visqueux et putrescent :
Elle ne tenait ni du bleu, ni du violet ou du noir, ni d'aucune des couleurs auxquelles les hommes sont accoutumés mais avait la teinte d'une purulente aliène.

Mais dans les méditations de Malygris ne brillait ni lumière ni feu, et fuyant la grisaille du présent aussi bien que les ténèbres d'un avenir sur lequel, il le pressentait, planait l'ombre de la mort, il errait à tâtons dans le dédale obscur de sa mémoire, tel un homme qui a perdu le soleil et cherche désespérément à le retrouver. Hélas, d'un temps où avait resplendi l'éclat de l'or et de la gloire, de ces jours de triomphe aux couleurs ardentes de la flamme, de la pourpre et de l'écarlate des riches et impériales années de la maturité, ne lui restait à présent que des souvenirs étrangement froids, ternes et estompées, qui lui donnaient l'impression de tisonner des braises mortes.

Sur ces mots, le dieu-araignée quitta sa toile et s’éloigna en longeant le rebord du précipice pour disparaître rapidement, sans doute lancé dans l’édification d’une nouvelle passerelle en un autre endroit de l’abîme.

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