Citations sur Tête de tambour (17)
On se suicide pour échapper à la pression de la vie, pour se soustraire aux exigences minuscules et aux parades familiales de l’existence.
Parce que ça fout sacrément la pression, la vie.
Il avait écrit ça en gros sur un Post-it orange au-dessus du bureau à petits papiers et des packs de soda entassés, collé sur la grande glace dans laquelle il se regardait tous les matins. Il en était à six bouteilles de Coca par jour, quatre paquets de Gauloises, cinq plaques de chocolat… Les années passant, de jeune et fringant, il était devenu ce corps méconnaissable et avachi de quadragénaire grossi par la bouffe anarchique de boulimique schizo addict. Il était devenu un ventre d’obèse surtout. Il se voyait encadré par deux pattes folles et une tête fêlée. Son jogging gris cédait sur les coutures. Il le cachait maintenant avec un peignoir éponge blanc XXL qui avait noirci sur les manches et à certains endroits. Un peignoir de clochard. Il s’appelait à présent dans ses notes Bibendum. p. 133
Si on te menace, ne perds pas ton calme. Dis comme Baudelaire : « Messieurs, je suis trop lâche pour me battre »
On n'avait rien trouvé pour l'aider à aimer, à se faire aimer, pour construire la vie. Le schizophrène n'a pas de projets d'avenir. Il ne peut pas. Pas d'avenir. Il n'a que le présent dégueulasse qui lui colle aux basques, pareil à un coureur qui voudrait faire un cent mètres avec deux boulets au pied - les calmants. Il ne sortira jamais de ses starting-blocks. C'est impossible. Il ne lui reste qu'à devenir encore plus fou qu'il ne l'est déjà, qu'à se mortifier, se scarifier pour dire sa haine de lui-même et à se retourner contre ceux qui l'enchaînent et le regardent impuissants - les médecins, les parents, les autres patients. Alors il devient un rapace au bec acéré prêt à déchirer toutes les carcasses environnantes, privant de joie et de vie les autres.
Nous portons tous nos fantômes, la vraie question est de savoir jusqu'où nous pouvons coexister avec eux sans qu'ils nous dévorent.
Je ne souhaite à personne de mener cette existence suspendue entre la réalité, la pensée, les dialogues, entre ce que je crois, ce que je dis. Je ne souhaite à personne la cave. La vie en cave.
La sous-vie.
Elle s'acquittera de la dette, elle payera le tribut - le temps qu'il faut, le prix qu'il faut. "Nous portons tous nos fantômes, la vraie question est de savoir jusqu'où nous pouvons coexister avec eux sans qu'il nous dévorent."
On n'avait rien trouvé pour l'aider à aimer, à se faire aimer, pour construire la vie. Le schizophrène n'a pas de projets d'avenir. Il ne peut pas. Pas d'avenir. Il n'a que le présent dégueulasse qui lui colle aux basques, pareil à un coureur qui voudrait faire un cent mètres avec deux boulets au pied - les calmants. Il ne sortira jamais de ses starting-blocks. C'est impossible. Il ne lui reste qu'à devenir encore plus fou qu'il ne l'est déjà, qu'à se mortifier, se scarifier pour dire sa haine de lui-même et à se retourner contre ceux qui l'enchaînent et le regardent impuissants - les médecins, les parents, les autres patients.
Maman disait qu'elle n'aimait pas Joana. Que Joana était laide, qu'elle avait les traits grossiers, que ses joues toutes tachées de rousseur la faisaient ressembler à une poire blette, piquée, noiraude. Je lui répondais: "Ne la juge pas ne la salis pas de ta mauvaise langue. Toute façon, t'as rien compris à ce qui la rend belle, c'est mes yeux sur ses tâches qui en font des cristaux ; et elle clinque." L'"amour" repassé aux élans poètes me donnait de la verve.
Je leur faisais payer le prix pour m'avoir impunément mis au monde. Je serais la croix à porter sur leurs épaules d'hommes pour toute une vie d'homme. Ils ne m'avaient pas tué quand ils avaient vu mon visage cyanosé de bébé tenu pour mort à la sortie du ventre de la mère, ni petit quand on pensait que j'avais une tumeur au cerveau tant j'avais la tête grosse de migraines, ni adolescent quand j'avais l'impression qu'un autre respirait dans mes hanches, ni plus tard, quand les doctes docteurs avaient décrété en choeur que j'avais des troubles relevant indubitablement de la psychiatrie?... Ils avaient tout fait, payant les meilleurs médecins, m'achetant les meilleurs viandes, pour que je vive cette vie d'âme morte, d'halluciné.
[...]
C'est à ce moment-là que je me fis cette promesse : tant que j'en aurai la force, je sèmerai la discorde dans leur foyer, je créerai l'âtre de guerre et je les regarderai s'entre-tuer comme des chiens affamés devant une charogne.
Le fou serait il donc la condition de survie de l'espèce ? Le bouc émissaire sur lequel la communauté réunie colle tous ses péchés et qu'elle sacrifie au nom de la survivance ? Le prétexte à la folie officieuse de tous les autres. (p144)