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Critique de Malaura


Jusqu'où doit aller la conversion d'un homme pour que ses péchés soient absous ? Doit-il se montrer à tous sous son vrai jour, se dépouiller de son honorabilité, affronter le ridicule, renoncer à sa réputation dans le monde, afin que ses fautes soient expiées ? La pénitence doit-elle passer par une abdication totale de sa vanité, de son orgueil, de sa réputation ? A quoi juge-t-on la valeur d'un repentir ?

Lorsqu'il apprend que son ami Pellizzari a radicalement changé de vie, le narrateur, a bien du mal à le croire. Quoi ? Pellizzari, cet « homme qui s'était toujours adonné à son travail et à ses plaisirs intimes avec habileté et dureté pour les premiers, raffinement et indulgence pour les seconds », cet homme intransigeant, rusé, insensible, dont la vie privée recelait tant de mystères qu'elle n'en finissait pas d'alimenter les mauvaises langues, cet homme-là aurait abandonné ses fonctions de directeur du théâtre de la Scala ? Il aurait renoncé au monde et à ses frasques pour transformer sa luxueuse villa lombarde en un orphelinat pour garçonnets ?...
Pellizzari, « l'esthète, l'hédoniste, l'affairiste, le pirate de l'opéra lyrique, le mystérieux érotomane, le sadique, le voyeur, le maître des chiens danois, l'imprésario impitoyable, l'exploiteur que des centaines de musiciens d'orchestre, de choristes et de chanteurs détestent », se serait ainsi brusquement métamorphosé en « père des orphelins » et se consacrerait désormais entièrement, avec l'aide d'une poignée de religieuses, à l'éducation de garçons abandonnés…

Rentrant en Italie après un long voyage, le narrateur, administrateur théâtral et homme vieillissant, tient à en avoir le coeur net. La conversion de son ami le remplit de curiosité et de méfiance, il donnerait cher pour savoir jusqu'à quel point celle-ci s'est opérée.
Il l'apprendra en se rendant chez son vieil ami, où, après une scène de confession larmoyante qui le laisse « l'esprit hésitant entre le respect et l'agacement, la cruauté et la méfiance, la pitié et l'ironie », il reconnait, traînant sur le bureau, des boutons de manchette lui appartenant et qui lui ont été dérobés quelques mois plus tôt….
Lorsqu'il confronte Pellizzari à ces objets volés, celui-ci ment éhontément avec un calme et une assurance en totale contradiction avec le poignant repentir dont il a fait montre peu auparavant.
Plusieurs mois plus tard le narrateur découvrira les tenants et aboutissants réels de l'histoire de Pellizzari…

Grand nom de la littérature contemporaine italienne, l'écrivain turinois Mario Soldati (1906-1999) s'est également illustré dans le cinéma pour lequel il a réalisé une trentaine de films et développé, dans les années 1940, « le calligraphisme », un mouvement qui, par opposition au néo-réalisme de ces années-là, portait une grande attention à la forme, à la pureté et au raffinement visuel, notamment avec l'adaptation d'oeuvres littéraires ; un cinéma « écrit » faisant référence aux enluminures des manuscrits anciens.

Il n'est donc pas étonnant de retrouver sous la belle plume de Soldati, l'oeil expert du cinématographe qui réussit brillamment à photographier en quelques phrases économes, mesurées, impeccablement calibrées, la région Lombarde, un coin de tonnelle, les douceurs d'une fin d'automne…« combien de fois avais-je songé, à la place de la Scala, au brouillard, à l'odeur familière du mois de décembre à Milan et revu les lumières discrètes et le velours rouge de mon cher Cova, une salade de truffes, un petit risotto sauté, une bouteille de champagne, une fille insouciante ! »

Mais s'il a l'art de planter ses décors en quelques mots bien tournés, Soldati n'est pas en reste en ce qui concerne l'analyse des comportements, l'examen des mentalités et l'étude des moeurs bourgeoises.
Avec un regard plein de finesse et de subtilité, l'auteur épingle les ambigüités, le mensonge derrière le masque de la respectabilité, l'hypocrisie sous la parure de la vertu et l'orgueil derrière la componction.
De son éducation bourgeoise, stricte et religieuse, Soldati a bâti une oeuvre forte pleine d'interrogations et de réflexion sur les valeurs morales, sur la notion de remords, de culpabilité, et sur l'ambivalence des sentiments humains englués par les tourments et les désirs de contrition et de repentance.
Sous les apparences trompeuses, la vérité émerge, mais est-il bien nécessaire de la divulguer au grand jour quand l'image de sa propre abjection peut briser irrévocablement un homme ?

Récompensé par le Prix Strega en 1954 avec « Les lettres de Capri », l'auteur offre une très intéressante variation sur le sens du repentir dans ce bref récit qui témoigne d'une ampleur psychologique et d'un sens de l'observation pleins de subtilité et d'acuité.
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