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Critique de JustAWord


Rivers Solomon se définit comme transgenre et utilise le pronom them/ils pour se désigner, ce qui sera donc utiliser dans cette critique
À l'exercice du premier roman, Rivers Solomon se lance dans une aventure spatiale où ils croise de façon savoureuse Twelve Years a Slave et le Transperceneige. Auteur noir et transgenre, Solomon jette son dévolu sur une science-fiction humaniste et engagée qui utilise le prisme d'une science-fiction pauci-technologique pour parler de ségrégation, d'esclavage, d'intolérance et de genres.
Particulièrement remarqué lors de sa sortie aux États-Unis, L'incivilité des fantômes intègre l'excellent catalogue des éditions Aux Forge de Vulcain.
Un premier roman qui risque de faire parler de lui en cette rentrée littéraire 2019.

Le Transpercétoiles
Sur le Matilda, immense vaisseau spatial divisé en ponts (de A à Z), une partie de l'humanité a embarqué pour survivre à un cataclysme que l'on devine à travers les légendes et les mythes entretenus par les humains vivants à son bord.
À la recherche de la Terre Promise, la population du Matilda s'est divisée en deux : dans les ponts supérieurs, les haut-pontiens sont des riches blancs vivant dans un confort et un luxe que sont loin de connaître les habitants des ponts inférieurs. Les bas-pontiens, des hommes et femmes noirs, vivent comme des esclaves, entretiennent les champs des ponts agricoles, respectent un couvre-feu sévère imposé par la Souveraineté et endurent les sévices et viols réguliers des hommes de la Garde.
Parmi ces malheureux, Aster, une personne transgenre dont l'identité sexuelle n'est pas fixé, hysterectomisée et mis au ban de la société à la fois pour sa couleur de peau et pour l'inadéquation entre ses organes sexuels et ses caractères sexuels secondaires. Obsédée par le passé (et notamment par le suicide de sa mère, Lune), Aster est également une personne qui ne comprend pas le second degré et qui se calque sur des rituels et des habitudes particulièrement rigides. Autiste de haut niveau (probablement Asperger même si rien n'est dit clairement à ce sujet) mais également médecin des ponts inférieurs, elle entretient des relations particulièrement complexes avec les autres personnages du récit : Théo, chirurgien métisse et homosexuel des ponts supérieurs à la fois révéré et détesté, Giselle, compagnon de chambrée psychotique et amie-ennemie d'Aster et enfin Mélusine, nourrice et mère du substitution pour Aster.
Avec ces quatre personnages, le lecteur endosse donc le fardeau du dominé face à des blancs cisgenres esclavagistes et ultra-religieux.
Car au fil du temps s'est créé une religion bâtarde sur le Matilda où la notion de péché a, bien évidemment, été défini par des blancs puritains à l'encontre d'une population noire maintenue dans le froid, l'ignorance et le désespoir.
Malgré tout, Aster tente à la fois de reconstituer les pièces de son passé (et de découvrir le secret entourant la mort de sa mère et les mystérieuses coupures de courant qui paralysent le vaisseau) mais également de veiller sur les siens, régulièrement passés à tabac, violés et méprisés.

Définir son identité
Chose particulièrement difficile mais brillamment négociée par Solomon, l'abord de la transsexualité et, plus généralement, du transgenre ne vient jamais étouffer l'histoire elle-même en parvenant à fondre les personnages dans la masse au lieu d'en faire des exceptions lourdement soulignées.
À aucun moment Theo ou Aster ne sont vus comme en dehors de la norme, ils sont juste des habitants naturels d'une population de dominés qui sévit les brimades et les règles religieuses/sociales d'une caste de dominants dénués de pitié et d'humanité.
Le message sur la tolérance, subtil et particulièrement poignant, accompagne ici une démarche de libération d'un carcan de genre qui fausse les relations entre les passagers du vaisseau, encore davantage que leur simple statut social. L'amour entre Aster et Théo, surtout intellectuel de prime abord, renvoie parfois au fabuleux roman de Francis Berthelot, Rivage des Intouchables, et offre une nouvelle fois un plaidoyer pour le droit à la différence.
Pour combler cette incertitude, Aster s'investit dans une autre quête identitaire, celle de son propre passé. Confrontée aux mythes d'un vaisseau dont les habitants ont quasiment tout oublié du passé et où la technologie n'a ouvert la porte qu'à une régression morale écoeurante, Aster décode les journaux de sa mère et reconstruit patiemment une assise historique à sa propre histoire personnelle. Régulièrement entrecoupée par des allégories et des contes, le récit nous parle finalement de la constance de l'esclavage et de la domination. Peu importe le lieu ou le temps.

Libérer son peuple
Éminemment politique (notamment à l'heure où Donald Trump qualifie la communauté noire américaine d'infection), L'incivilité des fantômes convoque de façon franche et assumée les spectres de l'esclavage et des plantations négrières avec ses contremaîtres, ses coups de fouet et ses brimades journalières. Si notre héroïne ne veut pas volontairement faire la révolution et renverser un système horriblement totalitaire, le lecteur se rend vite compte qu'une telle ségrégation ne peut que conduire au désastre et devra forcément se terminer dans le sang.
En retrouvant les pièces d'un passé pour le moins brumeux, Aster va réveiller la voix des fantômes et donner corps aux malheurs de ses ancêtres, comme le fait précisément Rivers Solomon dans ce roman science-fictif et allégorique. C'est par la connaissance et l'apprentissage que les choses évoluent…et par la révolte, forcément.
Pour renforcer l'humanité de son histoire, Solomon permet à Melusine, Théo et Giselle de prendre la parole au cours de trois chapitres.
La première nous parle de perte et de son évolution émotionnelle pour survivre face au mépris des autres, le second de la difficulté à exister dans un monde où l'on ne tolère pas l'homosexualité, la dernière des ravages psychologiques causés par des sévices perpétuels.
Pourtant, parmi les opprimés des bas-ponts, tous ne sont pas solidaires et, finalement, ce qui facilite d'autant plus la domination des blancs des ponts supérieurs, c'est assurément le temps passé par les opprimés à se disputer entre eux. L'union fait la force, comme toujours. Peu importe le genre ou la couleur, seule l'humanité compte au bout du voyage.

Magnifique premier roman, L'incivilité des fantômes use de la science-fiction de la meilleure des façons en condamnant intolérance, racisme et ségrégation. Rivers Solomon double son voyage spatial d'un voyage humain tout en peuplant son histoire de personnages particulièrement poignants pris au piège de leur peau et de leur vaisseau-prison.
Lien : https://justaword.fr/lincivi..
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