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Critique de Apoapo


Bien qu'il constitue le premier volume des journaux d'apprentissage du chamanisme de Corine Sombrun, j'ai lu ce livre après Mon initiation chez les les chamanes, qui étrangement n'en fait pratiquement par référence. Dans ce premier volume, il est question d'une « initiation » au chamanisme d'une durée d'un mois dans l'Amazonie péruvienne ; dans le suivant, d'une année sur une période de trois ans auprès d'une chamane en Mongolie. La comparaison s'impose qui, me semble-t-il, joue un peu en défaveur de ce livre.
L'auteure, submergée par les tourments d'un deuil encore plus récent, part en Amazonie suite à la rencontre du peintre-chaman Francisco, dans une exposition de tableaux londonienne, qui lui lance le défi énigmatique de découvrir son propre son qui la guérira. Bien que chargée d'une mission musico-documentariste par la BBC, il est évident que ni elle ni le lecteur ne sommes dupes de la démarche de Francisco, qui consiste à attirer un certain public occidental, principalement féminin, en quête d'expériences « particulières », dans un stage de chamanisme à base de consommation intensive de la plante hallucinogène nommée « ayahuasca » assortie d'une diète de jeûne et de décoctions végétales diverses, dans les conditions de vie les plus spartiates imaginables au sein d'un village de huttes en construction, sans murs ni sanitaires, en pleine forêt tropicale, afin de sensibiliser ledit public aux richesses précieuses et fragiles de la flore amazonienne ainsi que de lui transmettre le savoir ancestral afférent. Ce savoir peut se définir chamanique, certes, parce qu'il possède d'abord des fins thérapeutiques, parce qu'il est organisé par une culture et une mythologie où les végétaux ont ou sont des esprits avec lesquels l'impétrant entre en communication, dont il retire des pouvoirs d'herméneutique des maladies et de leur guérison, à commencer par celle de soi, enfin parce que les substances absorbées provoquent la transe et des hallucinations. Mais il est évident, ne serait-ce qu'à cause de la durée brève et de la perspective transitoire de l'expérience, que cette « initiation » est, j'ose dire, « touristique » : l'intéressée en apprend relativement peu sur ce savoir ancestral, elle ne « diète » que trois plantes, n'apprend qu'un nombre infime de leurs chants, et ses soirées ayahuasca, presque dépourvues du cadre et des attributs des rites, se résument aux pénibles effets physiques du toxique (vomissements, coliques, tachycardies, tremblements), autant qu'à la féerie des visions induites, dont l'interprétation se réduit à un minimum folklorique.
Corine Sombrun, naturellement, est plus inexpérimentée face à cette première expérience, son don chamanique ne lui ayant pas encore été révélé (ou à peine, par Francisco, et de façon peu crédible) ; plus vulnérable sans doute, dans sa quête de communication avec le défunt aimé ; plus encline à se remémorer son enfance dans la brousse africaine pour en puiser quelques analogies. de plus, dans ce premier livre, et notamment dans la fantasmagorie de ses magnifiques descriptions de son expérience de la transe, qui font le principal charme de ce volume ainsi que du suivant, on ressent davantage l'attention prêtée à la musique, comme si la fibre de compositrice de l'auteure prévalait sur celle de chamane encore inconnue. À moins que ce ne soit la foison des bruits de la forêt amazonienne et des chants arboricoles des chamans américains qui surpassent le paysage sonore mongole, se résumant au tambour et à la guimbarde, seuls appâts sonores des esprits des steppes... Enfin, ce récit est beaucoup plus centré sur les ressentis de l'auteure, avec quelques descriptions principalement effrayantes d'une jungle inconfortable – pour se laver, pour faire ses besoins... – et à la faune terrifiante et dangereuse : tarentule, serpent nakanaka, moustiques porteurs du paludisme ; il manque complètement l'intimité de la cohabitation avec d'autres personnages, que l'on trouve dans l'opus suivant. de ce fait, Francisco, Ruperto et les trois autres impétrantes occidentales rencontrées sur place sont des personnages très secondaires et plutôt insaisissables.
En contrepartie, l'ironie et l'auto-dérisions sont beaucoup plus développées dans ce livre. Les particularités stylistiques tellement originales – entrées du journal avec « Extérieur » et « Intérieur (de moi) », phrases minimalistes, sauts de registres linguistiques, ponctuation surabondante à usage désinvolte et totalement rythmique – qui peuvent plaire ou déplaire mais sont indiscutablement un trait efficace pour la narration, sont peut-être encore plus marquées dans ce premier ouvrage.
Dans le style comme dans la trame (le rêve du chant diphonique), on sent ici une oeuvre et une biographie se déployer.
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