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Critique de Darkcook


Me voici réconcilié avec Somoza, grâce à un de ses romans qui pourtant divise le plus, et je comprends qu'il y ait de quoi! C'est à mes yeux un de ses plus difficiles, dans un de ses délires les plus radicaux et personnels, et qui est loin d'être sans tache et gros défauts. Il y a véritablement une scission dans son oeuvre, avec au centre La Théorie des cordes, et j'ai l'impression, partagée par beaucoup, que ses premiers romans resteront ses meilleurs. Pour autant, j'ai totalement adhéré à l'idée derrière La Clé de l'abîme.

Cela commence comme un thriller sur la religion, et véritablement addictif. Dans un train, en Allemagne, Daniel Keane, modeste employé, est pris en otage par un terroriste kamikaze qui dit connaître "la clé pour détruire Dieu" et vouloir la lui léguer. le suspense est effréné, à l'image de ce train défilant au milieu d'une Allemagne ravagée par l'apocalypse. Des citations de la Bible émaillent le roman à chaque chapitre, et on se rend vite compte qu'il y a quelque chose qui cloche, que ce n'est pas véritablement de la Bible chrétienne que l'on parle, surtout quand il est fait allusion aux morts à absolument disposer de façon verticale et à incinérer car enterrés, ils pourraient revivre sous terre... (j'ai adoré cette idée)

Daniel Keane s'embarque donc dans une aventure folle, accompagné de personnages assez typiques de Somoza, avec une seule facette, mais peu importe... le savant Darby, la super-combattante aveugle Maya Müller étant bien sûr les plus mémorables.

Peu à peu donc, on réalise que, sur cette Terre post-apocalyptique, c'est l'oeuvre d'H.P. Lovecraft qui est considérée comme la Bible, et que croyants de divers bords et non-croyants se déchirent au sujet de cette mystérieuse Clé de l'abîme qui pourrait anéantir Dieu, évidemment plusieurs fois imaginé comme un monstre marin... le roman voyage beaucoup, et malheureusement, passé les premières scènes au Japon, c'est la dégringolade par rapport au début, et aux attentes qu'il avait suscitées (tout comme la 4e de couverture ultra-vendeuse, comme souvent pour cet auteur). Les moments dans la Zone Enfouie ou en Nouvelle-Zélande ne sont vraiment pas à la hauteur de ce qu'on attend, et sont laborieux, pas très inspirés... On comprend certes à la fin le pourquoi du déroulé si loufoque des événements, mais reste que le roman est grandement racheté par son début à toute berzingue, et sa fin qui livre les clés (c'est le cas de le dire) de sa chouette réflexion théologique et de son hommage poussé à Lovecraft. Mais entre les deux, on s'ennuie...

C'est un roman de Somoza avant tout. Vous aurez des scènes débiles assez hallucinantes avec une obsession du corps, d'une bisexualité et d'une sexualité permanente mais étrange (car les humains de ce futur sont pour la plupart des "êtres de conception", génétiquement crées, sorte d'eugénisme asexué ou androgyne, et les femmes ne peuvent plus enfanter). Somoza n'a de cesse de répéter encore et encore les descriptions vestimentaires bariolées de tel ou tel sbire rencontré, dans un tic assez infernal. Dans Clara et la Pénombre, sur des humains tableaux, évidemment que c'est vital. Dans L'Appât, avec ses acteurs permanents qui pensent leurs poses, OK. Mais là, c'est vraiment ridicule... Idem pour les tortures sado-masos de ce malheureux Daniel Keane...

Le roman a l'air mauvais au vu de ce dernier paragraphe, mais le voyage vaut le détour grâce à la fin. Somoza offre, grâce à ce futur égaré dans la foi absolue en un auteur d'horreur, un beau développement par l'absurde sur les conséquences des croyances extrêmes en des textes sanctifiés, pourtant écrits par un esprit tiers. Les moments consacrés à la Vérité, entité obscure du roman, parcourus de phrases à double sens du genre "La Vérité est impossible à trouver", font partie de ses plus belles réussites. Structurer un roman entier à partir de 14 textes de Lovecraft était également un beau challenge! Dommage que tout ne se vaille pas dedans, mais ça reste pour moi un grand souvenir de lecture, et grâce à la révélation finale, un livre que je n'ai cessé de retourner dans ma tête durant deux jours après l'avoir terminé! Ça faisait bien longtemps que cela ne m'était pas arrivé! En résumé, ne surtout pas commencer par celui-là pour aborder Somoza, et être patient avec ses défauts et ses moments moins réussis. Je viens d'entamer Stanislas Lem, et c'est tout de même bien mieux écrit et traduit par contre, avec une redoutable simplicité et efficacité...
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