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Critique de colimasson


L'opritchnina d'Ivan le Terrible, milice spéciale représentée sous les signes du chien (celui qui attrape les traîtres) et du balai (celui qui les nettoie pour laisser table rase), symbole de la « Sainte Russie orthodoxe » du 16e siècle, ressuscite cinq siècles plus tard, en 2028, à cause de Vladimir Sorokine.


Vladimir Sorokine a dit : « En Occident, être écrivain est une profession, chez nous, c'est un travail de sape : l'écrivain sape les fondements de l'Etat ». En tant qu'écrivain, on comprendra donc que rien de ce qu'il n'écrit n'est anodin. Quel intérêt aurait-il eu à évoquer cette vieille milice disparue de l'opritchnina si, justement, elle n'avait pas disparu ? si, au contraire, elle n'était pas restée intacte, se contentant seulement de changer de nom, de changer de forme ? Ce n'est un secret pour aucun lecteur : en décrivant la journée d'un opritchnik, Vladimir Sorokine prétend à peine s'emparer de la forme fictionnelle pour nous décrire la Russie politique d'aujourd'hui, à deux ou trois métaphores près.


Vingt-quatre heures, ni plus, ni moins, et nous suivons les tribulations de Komiaga, opritchnik plutôt haut gradé, bien qu'il reste encore sous les ordres du Patron, lui-même dirigé par le Souverain. Au-dessus, bien sûr, Dieu le Saint orthodoxe. Parmi ses aventures, le trivial et le vital alternent sans cesse : entre les orgies de bonne chère/chair, d'alcool et de serpelets, entre les heures de détente passées au sauna et les visites à l'opulente et magistrale souveraine, viennent s'intercaler de tristes affaires d'Etat qu'il vaut mieux régler le plus rapidement possible à coups de perceuses, de lasers et autres moyens que le sadisme technologique rend plus redoutables qu'au siècle d'Ivan le Terrible.


Beaucoup moins dense que cet autre texte de Vladimir Sorokine, le Lard bleu, la journée d'un opritchnik semble n'en être qu'un extrait ayant subi une légère variation. Lorsque le premier ajoutait à la description viciée d'une hiérarchie politique totalitaire, une intrigue tordue donnant à réfléchir sur de nombreux aspects culturels, le second se contente de lui-même. Sans but, cette journée vouée à la répétition éternelle pourrait revêtir les aspects de l'absurdité, si ce n'est qu'au sein de l'opritchnina, aucune journée ne se ressemble.


Moins d'emphase, moins de délires, moins de crimes, mais encore beaucoup de débauche et de violence : entre le trop et le pas assez, cette journée d'un opritchnik échoue à donner une représentation convaincante du travail de sape recherché par Vladimir Sorokine. L'excès donne naissance à une caricature dont l'écrivain serait le bouffon-créateur, voltigeant sans se laisser capturer par toute une hiérarchie qu'il dénonce. Même si les intentions de Vladimir Sorokine sont louables et tout à fait compréhensibles, Journée d'un opritchnik est un texte décevant pour qui aurait lu son Lard bleu. Léger, bien trop léger, il nous abandonne comme Komiaga lorsqu'il se réveille chaque matin, après une nuit de cuites, la mémoire totalement vierge des méfaits de cette nouvelle opritchnina.

Lien : http://colimasson.over-blog...
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