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Critique de Sofiert




Certains écrivains aux voix très individualisées, dont la culture est immense, sont d'un abord difficile. C'est le résultat de leur façon de voir le monde et de le restituer en empruntant de nombreuses circonvolutions. Il faut un certain temps pour s'habituer au style, pour  s'imprégner de cette atmosphère si particulière et extrêmement dense. Mais lorsque vous y parvenez, vous découvrez une langue d'une extraordinaire vivacité et un ton des plus sarcastiques.

Wole Soyinka traite des dérives du pouvoir dans un Nigéria fictif et de l'instrumentalisation du religieux par la classe politique pour mieux manipuler le peuple. On devine aisément que la fiction est toute relative et que la satire n'est jamais loin, d'autant que ces thématiques poursuivent l'écrivain qui fut emprisonné pendant deux ans pour ses idées et qui a déclaré :
" L'homme meurt en tous ceux qui se taisent devant la tyrannie."

Ces chroniques des gens du pays le plus heureux du monde sont complexes à résumer, tant les axes de la narration sont étendus. L'histoire  commence par la présentation des personnages dans leur environnement et le premier d'entre eux se nomme  Papa Davina. Cet homme est un charlatan qui a fondé une secte qui rassemblerait toutes les religions, l'islam, le christianisme, les croyances traditionnelles et même le zoroastrisme, et dont l'un des fidèles est le Premier ministre en personne.
L'auteur évoque également l'histoire du Nigeria post-colonial, qui se vante d'être " la nation la plus heureuse du monde" alors qu'elle n'est que la nation "la plus extraordinairement corrompue au monde". En écrivant ce livre, il se demande avec colère et indignation comment une société peut se dégrader aussi rapidement en quelques décennies après l'indépendance. Il dénonce à la fois le fondamentalisme religieux et la corruption qui règne dans les élites du pays prêtes à toutes les infamies pour s'enrichir.
Le docteur Menka joue à la fois le rôle de l'observateur et du protagoniste engagé dans la dénonciation des dérives de cette société. Ce chirurgien qui vit dans la ville de Jos s'occupe de réparer les hommes et les femmes mutilés lors  d'explosions dans le Nord par Boko Haram et ses troupes.
Menka est l'ami de jeunesse de Duyole Pitan-Payne, joyeux camarade et ingénieur émérite. Duyole vient de recevoir un poste prestigieux aux Nations unies, mais les obstacles commencent à apparaître sans que les deux amis en connaissent la cause.

Le lecteur découvre en même temps que Menka les pratiques sordides et monstrueuses auxquelles se livrent les hommes de pouvoir. Papa Davina, le gourou religieux, dissimule derrière son ministère spirituel Ekumenica, un business de l'horreur Il est de mèche avec le chef de l'État, le rusé et pragmatique Sir Goddie, et il semble que ce racket soit extrêmement prolifique. Tout repose sur l'exploitation de superstitions et de croyances culturelles du peuple selon lesquelles les organes humains ont des propriétés permettant de fabriquer des potions magiques utilisées  pour obtenir le succès, le pouvoir ou la richesse, ou encore provoquer la mort d'un concurrent.
L'auteur excelle dans la description sardonique de ces supermarchés spécialisés en "ressources humaines".
" Pour le reste _ foie, poumons, reins, parties génitales, rate, tous les organes vitaux, les seins de la femme, les doigts etc _, rien ne se perdait, tout faisait l'objet de prescriptions, mais la tête, y compris le moindre fragment de crâne destiné à rejoindre la corne de rhinocéros comme garantie d'une libido masculine exacerbée, assurait un contrôle métaphysique sur le reste de l'humanité, qu'il pleuve, qu'il vente ou que vienne le jour du jugement dernier. "
Le principal enjeu du roman consiste ainsi à découvrir un mystérieux code secret qui permettra de pénétrer au coeur de ce cartel immonde de vendeurs d'organes humains, afin de le démanteler.

La richesse et la densité de ce roman en font à la fois sa force et sa faiblesse.
L'écriture est magnifique et le livre contient des parties prodigieuses d'inventivité, d'intelligence et de drôlerie.
Mais ce bouillonnement autour d'un très grand nombre de personnages dont certains ont plusieurs identités et ce tourbillon d'intrigues qui apparaissent soudainement puis disparaissent, peuvent laisser les lecteurs perplexes. Ce fut mon cas à plusieurs reprises lorsque l'auteur m'abandonna dans des digressions pour moi hermétiques.

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