- Mère avait du flair pour ce qui prendrait de la valeur (parlant d'une peinture, d'un tableau). Aujourd'hui ça vaut une fortune.
- Ça ne m'a rien coûté. L'artiste mourait pratiquement de faim
–Je me demande si tu t'intéresses à la graphologie. Si oui, tu pourrais aimer à voir ce que Möring a écrit ici. Tu sais, il y a une spiritualité indéniable dans un mot gracieusement tracé. Je pense qu'on peut deviner bien des choses du caractère de l'écrivain d'après son écriture.
S'emparant d'un autre livre dédicacé, il poursuivit :
–On voit tout de suite que celui qui a écrit cela (il se trouve que c'est André Gide) est à la fois énergique et profondément sensible. Les lignes de cette dédicace, plutôt longues, vont en remontant, les mots eux-mêmes sont penchés en avant, comme des coureurs, et quand l'écrivain arrive au bout de la page, il s'irrite d'avoir à aller à la ligne et les derniers mots en sont tordus, d'un air de défi, vers le bas. Il y a une indéniable unité d'effet, du point de vue esthétique, sur toute la page, qui trahit, je pense, la touche, ou au moins une touche, du génie. Et pourtant, ajouta-t-il en un sourire, il y a là-dedans de la faiblesse aussi bien que de la force. Il y a quelque chose de presque efféminé, de presque mesquin –ou, pourrait-on dire, en anglais, de «juponneux» ? – dans toute cette rapidité. En allemand, on dirait weiblich, qui est un peu moins fort.