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Critique de Chri


Chri
06 septembre 2015
L'Ethique est Ce Qu'il Fallait Démontrer pour s'affranchir d'un seul coup des anciens dogmes et superstitions. Mais s'il n'y a plus à craindre ou à espérer des prescriptions divines il reste cependant à composer pratiquement avec la palette variée et inconstante des sentiments bien humains qui sont aussi capables d'asservir l'homme. La voie libre est donc difficile à première vue, elle dépend de la Raison qui est elle-même limitée mais largement perfectible.

La voie est nécessairement pragmatique à l'image de l'exposé de la formation des états et des lois qui découlera du besoin des hommes de s'entraider pour mieux préserver leur être. Pragmatique aussi est l'évaluation des avantages et des inconvénients de chaque situation ; ainsi il vaudra mieux donner la préférence aux sentiments d'humilité et de repentir, d'espoir et de crainte (toujours exploités par les prophètes), plutôt qu'à l'orgueil "suprême ignorance de soi" qui est absolument incompatible avec la concorde des hommes.

En conséquence Nietzsche, s'il avait vraiment compris Spinoza comme il le pense, ne serait pas contenter de banaliser l'idée de "la race des conquérants et des maîtres-nés, celle des Aryens »* et de la considérer comme autre chose qu'une très grande menace pour l'humanité. (*Nietzsche, La Généalogie de la Morale).

La priorité à la concorde des hommes ou l'amour de son prochain, chacun peut la percevoir à sa manière, comme l'ont perçue les prophètes. Les Ecritures ne contiennent que ce type d'enseignement très simple accompagné d'un contenu historique et surtout d'une énorme dose d'imagination, en tous les cas rien qui permette de réclamer l'obéissance à Dieu sauf si on considère Dieu comme un prince. Loin d'appeler à un nouvel ascétisme, le perfectionnement de la Raison permet à l'homme de jouir d'une légèreté de l'Être car à un certain point il n'est plus dominé par les passions et son esprit ne confond plus la réalité avec les fruits de son imagination.

Comme la sagesse réclame la Raison, la lecture de l'Ethique réclame une attention particulière pour suivre un raisonnement difficile construit de façon mathématique. A la manière d'une épreuve j'ai essayé de décrocher le moins possible jusqu'à cette proposition : "L'esprit humain ne peut être absolument détruit avec le corps, mais il en subsiste quelque chose qui est éternel". Je ne peux pas affirmer que celle-ci soit absolument démontrée, et je dois même dire la même chose pour de nombreuses parties du raisonnement mais en même temps il est impressionnant de noter dans les commentaires (scolies) à quel point l'expérience rejoint les propositions.

Ainsi l'Ethique montre comment le perfectionnement de la Raison prépare tranquillement l'esprit à accéder à la connaissance intuitive et à la "la joie inhérente à la conscience de soi" ou béatitude (on pourrait dire aussi l'Eveil). le choix d'un vocabulaire religieux est aussi fait pour préparer en douceur les croyants des anciens dogmes à accueillir une nouvelle idée de la religion.

Voici donc la première idée claire et distincte de Spinoza : "Dieu est une substance consistant en une infinité d'attributs dont chacun exprime une essence éternelle et infinie ». Et par le raisonnement on n'obtient que « ni l'entendement ni la volonté n'appartiennent à la nature de Dieu ». Il n'y a donc aucune représentation anthropomorphique possible, mais puisque les hommes ne peuvent s'empêcher de former des images, alors c'est l'image de la Nature qui convient le mieux : "Deus sive Natura" (j'y vois aussi le Tao de Lao Tse). Cette vision dépasse la perception nombriliste des hommes convaincus que tout ce qui arrive, arrive pour eux. "Ainsi ont-ils été conduits à former ces notions par lesquelles ils disent expliquer la nature des choses, à savoir le Bien, le Mal, l'Ordre, la Confusion, le Chaud, le Froid, la Beauté et la Laideur ; et du fait qu'ils s'estiment libres, sont nées les notions suivantes : la Louange et le blâme, la Faute et le Mérite."

Autrement dit Spinoza dénonce aussi les anciens dogmes comme une limitation de la puissance divine, ultime provocation sans doute pour les théologiens. Il se sait accusé d'hérésie ce qui n'est pas une mince affaire, mais l'Ethique est sagesse et donc respect. C'est donc avec sa force d'âme et un discours cartésien qu'il va affronter ses adversaires qui eux se fondent sur l'arbitraire interprétation des Ecritures. Dans le Traité des autorités théologique et politique il analyse le sens du droit divin, son rôle dans un état démocratique et la liberté que l'homme doit conserver lorsqu'il transfère ses droits à l'Etat.

L'engagement de Spinoza dans un contexte d'obscurantisme faussement religieux nous ramène évidemment à l'actualité. L'Ethique devrait certainement prendre sa place dans les programmes scolaires à la suite de l'enseignement laïque des faits religieux. Et que dire aux enfants à l'âge où ils nous assaillent de pourquoi ? pourquoi ? pourquoi ?...Je sais en tous les cas qu'ils doivent percevoir l'effort de la raison parce qu'ils sont capables de comprendre, plutôt que subir un flot d'explications surnaturelles parce qu'ils sont facilement impressionnables.
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