AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de deidamie


« Bonjour les Babélionautes ! Aujourd'hui, on va parler d'un livre de la brûlante actualité, le consentement, de Vanessa Springora.

-Bonjour mesdames, mesdemoiselles, Déidamie, messieurs… je suis ravi de partager ce moment avec vous.

-Et je vous le présente si vous ne l'avez pas encore rencontré dans la critique Libérées, le combat féministe se gagne devant le panier à linge sale : Michel Lerelou. Bonjour Michel.

- Tu as vu, Déidamie ? J'ai dit bonjour à tout le monde. J'ai bien compris que la dernière fois, tu étais contrariée et qu'il fallait te ménager. Ca te convient, comme ça ?

-*soupir*

-Tu pourrais quand même me féliciter ! Je fais des efforts, là !

-Te féliciter d'avoir un minimum de décence ? Non.

Or donc, V. a treize ans, de nombreux complexes et se réfugie dans la littérature. Elle rencontre lors d'un dîner le charismatique G. M., qui la remarque aussitôt. Il la séduit… et entame une relation éphémère et toxique avec elle.

-Alors, moi, je tiens à dire…

-Popopop ! T'as lu le bouquin cette fois ?

-Déidamie, le viol est un problème trop grave et trop important pour être pris à la légère. J'ai donc lu ce livre très attentivement.

-Ah bon ?

-Absolument. Et c'est pourquoi je suis en mesure de dire : Non ! C'est inadmissible.

-T'es sérieux, Michel ? Je… je n'arrive pas à y croire…

-Je suis on ne peut plus sérieux ! Ce livre est une arnaque et ne parle pas du tout de viol !

-Qu… QUOI ?!

-Enfin, Déidamie ! Cette jeune femme est allée chez cet homme de son plein gré ! A quoi s'attendait-elle ? Elle était consciente de ce qu'elle cherchait !

-Je suis désolée pour les Babélionautes qui vont lire deux fois la même chose, mais j'ai dû mal comprendre un truc plus haut, je vais reposer la question. Tu as vraiment lu le livre, hein ?

-Mais oui, je te dis ! Et elle dit ex-pli-ci-te-ment que G. sera son-pre-mier-a-mant !

-Tu as tout à fait raison.

-Ha ! Il faut responsabiliser les femmes, même mineures, de leurs relations amoureuses.

-Tu as surtout complètement tort.

-Hein ?

-Ben oui, Michel. Je ne peux même pas t'accuser de non-analyse du texte, parce qu'il n'y a nul besoin d'analyse : le texte reste explicite sur les faits, si tu lis mal, je n'y peux rien !

Le consentement constitue une lecture facile en dépit de la gravité de son sujet : les phrases s'enchaînent avec fluidité, les chapitres filent vite. Vanessa Springora explore et expose les causes et les conséquences avec une rigueur mathématique. Presque tragique, en vérité. Après tout, vous commencez le livre en sachant déjà comment il va se finir.

-Quelle grossière erreur ! Ce texte ne relève pas de la tragédie, c'est un témoignage.

-Non. Il n'est pas tragique au sens littéral du terme : évidemment que V. n'est pas le jouet des dieux furieux ni d'une cruelle destinée qui s'amuse avec l'humanité. J'emploie le mot « tragédie » au sens de « machine infernale », mais sans Cocteau. Je m'explique :

Quand la rencontre entre G. et V. a lieu, tout est en place pour que cette dernière tombe dans son piège : l'absence d'un père violent et toxique, la soif d'amour de la jeune fille, l'adolescence et son cortège d'émotions démesurées, le milieu permissif… autant de points faibles qui la rendront vulnérable face à un prédateur. Les circonstances rendent les agressions de G. possibles.

-Et alors ? Moi, je maintiens qu'elle le voulait.

-Oui, elle le voulait. Maintenant, était-il en droit d'en profiter ? de la torturer, de ruiner sa vie, d'aspirer sa jeunesse pour ne laisser rien d'autre que la détresse, le vide, l'horreur de la trahison et du mensonge ? Un mec de quarante ou cinquante ans avec une gamine de quatorze ? Non.

Vanessa Springora se montre très claire sur le sujet : elle cherchait l'amour, oui, toutefois elle cherchait surtout une figure paternelle pour qui elle existerait. Les dîners à trois avec sa mère ne comportent aucune ambiguïté : elle s'y sent en famille, enfin.

Elle décrit également comment G. l'a dépossédée d'elle-même : en s'appropriant ce corps qui refuse d'une part, puis en la chassant elle-même de sa propre vie pour la remplacer par un fantasme, celui de la jeune fille qui ne grandit jamais et qu'il faut façonner. Pas le droit de t'amuser, pas le droit de sortir avec qui tu veux…

-Boah, ç'aurait pu arriver avec un gamin de son âge…

-Non, là encore, non, ça n'aurait pas pu. Pas à ce niveau. Elle n'avait pas les armes pour répondre, pour se débattre intellectuellement, faute d'expérience et de maturité, ce qui est normal : que sais-tu, qu'as-tu lu à quatorze ans ? Il n'existait pas d'égalité entre eux. C'est pas Eugénie Grandet qui va t'apprendre à te battre pour ta liberté, te faire comprendre qu'on te manque de respect ou que ce n'est pas normal de maquiller et de dénuder des petites filles pour les faire poser dans des postures lascives.

-Qu'est-ce que tu racontes ? Il ne la déguise pas. Tu inventes des trucs, maintenant ? Je le savais ! C'est un fake pour forcer toulmonde à penser comme toi, mais moi, je vois clair dans ton jeu, sale féminazie ! Je ne suis pas un homme qu'on trompe !

-Waaah, tu as le sens de la formule… et non, je n'invente pas, monsieur Lerelou ! Il est fait allusion à Eva Ionesco, une enfant dont la mère exploitait lâchement l'image et dont les photos circulent toujours chez les « collectionneurs ». G. M. admire ces clichés. Là encore, si ton auguste matière grise n'est pas au courant, je n'y peux rien, c'est pas moi qui gère, hein, c'est toi.

J'ajoute une dernière chose. Je disais plus haut que ce témoignage disséquait et analysait des causes et des conséquences avec rigueur et précision. Il reste cependant une chose dont je n'ai pas parlé : l'humour.

-De l'humour maintenant ! Comme si on pouvait parler de choses déprimantes avec humour !

-Oui, on peut, Michel. L'humour de victimes existe, ce n'est pas un mythe, et plusieurs fois Vanessa Springora ajoute une touche d'ironie ou de sarcasme, envers G. (haha, j'ai bien rigolé pour le coup de la glace à la fraise), certes, mais aussi envers elle-même. Ces traces d'humour restent cependant ténues, discrètes.

Et pour finir, je voudrai revenir sur l'aspect photo.

Certains pédocriminels photographient ou filment leurs victimes et partagent leurs fichiers sur Internet. Vous rendez-vous compte de ce que cela signifie pour les victimes ? Etre figé.e dans un éternel présent où vous servez de jouet sexuel ? Les années passent, les images restent. Matzneff a commis quelque chose de similaire : il a figé pour toujours l'image de cette ado sous un jour flatteur pour lui, il a exhibé l'intimité de leur relation, aussi factice fût-elle, à cette différence près : il s'est servi de sa prose et non d'un appareil. Ses carnets noirs lui tenaient lieu de caméra.

Vanessa Springora a réussi à renverser le piège. Son livre le fige lui aussi dans un présent qui ne changera plus jamais. Et dans ce présent qui dure depuis des décennies, il sera désormais vu tel qu'il est : un violeur d'enfants (non, un enfant qui se prostitue pour se payer sa nourriture, sa came ou un cartable ne le fait pas parce qu'il a envie de vous, il a besoin de votre argent, c'est différent), un homme sexiste et un pervers aux techniques rodées pour manipuler et harceler.

Le consentement ne constitue pas qu'un simple témoignage : il représente aussi un essai complet, une démonstration sur les mécanismes de la violence sexuelle et leurs conséquences (parce que c'est pas tout de s'éloigner de son bourreau, il faut réapprendre à vivre après), sans pour autant s'éloigner de l'émotion. »
Commenter  J’apprécie          3329



Ont apprécié cette critique (30)voir plus




{* *}