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Critique de ODP31


Moi, je n'aime pas les puzzles. Surement un traumatisme d'enfance lié à la perte d'une pièce venue ruiner la représentation d'une biche orange ou d'une copie crevassée d'un paysage de montagne digne d'un calendrier d'éboueurs.
Malgré cette allergie aux jeux de patience, je n'ai pas perdu mon temps dans la structure alambiquée de ce roman, casse-tête qui aurait pu casser d'autres parties moins pensantes de mon anatomie si son auteure n'avait pas été Emily St.John Mandel, cette romancière canadienne dont « Station Eleven », chef d'oeuvre apocalyptique, a rejoint mon panthéon: l'étagère la plus haute et la moins stable de ma bibliothèque.
Assembler toutes les pièces de ce puzzle, c'est découvrir un ciel gris derrière une baie vitrée. Sur la paroi transparente, une inscription sous forme de graffiti : « Et si vous avaliez du verre brisé ? ». Une sensation de mal à la gorge est autorisée.
Cette vision glaçante est celle de l'hôtel Caiette, palais isolé sur une île au nord de Vancouver. Gîte pour millionnaires fatigués à trop compter leurs pépettes, l'établissement appartient à Jonathan Alkaitis, avatar de Bernard Madoff, le défrayeur des chroniques de 2008, le genre à organiser des diners mondains en pleine pandémie pour continuer à réseauter le VIP.
Le roman va raconter les circonstances de sa chute, de la ruine de tous ceux qui lui ont fait confiance, autant par naïveté que par avidité. Employés, compagnes et victimes vont interroger leur mauvaise conscience et Emily St.John Mandel les décrit ici comme des spectres amorphes que l'économie a extradé du monde réel, apatrides argentés qui trainent la malédiction de la culpabilité comme un boulet de vieux fantôme écossais. Les zombies de Wall Street.
Mais rassurez-vous, l'histoire ne fréquente pas uniquement les pages saumonées du Figaro pour pêcheurs de bons placements. Inutile d'être un crac du Cac 40, un nostalgique de la bourse de Paris avec René Tendron ou de suivre le cours du Dow Jones pendant son jogging à Central Park pour se passionner pour ce récit. Derrière chaque trader, oui, un être humain fragile sommeille et les personnages en orbite de ce scandale financier portent des traumatismes d'enfance, la perte d'être chers et la nostalgie des rêves brisés. Des gens anormaux comme tout le monde.
La structure narrative brillantissime utilisée par Emily St.John Mandel fait écho au montage financier utilisé par Madoff pendant des dizaines d'années : la fameuse pyramide de Ponzi. Pas le gars qui a la classe avec une banane sur la tête et un vieux cuir, sacré Fonzi. Il s'agit ici de Ponzi, un homme d'affaire qui en 1919 inventa cette magouille pour cols blancs pressés de finir millionnaires. Happy days. Si cette fraude consiste à rémunérer les investissements des clients non par des placements miraculeux mais par les apports de nouveaux gogos, l'auteure a très habilement construit de la même façon son récit, l'intrigue s'enrichissant au fur et à mesure de personnages secondaires qui prennent de plus en plus d'importance et portent l'histoire jusqu'à l'effondrement. Un échafaudage de gratte-ciel.
Sauts dans le temps, puis dans le vide, je me suis laissé séduire par cette histoire aride portée par une écriture à la fois distancée et poétique. Cette romancière excelle dans les personnages hors sol et dans les ambiances froides et mélancoliques qui rappellent certains films de Sofia Coppola.
Un peu lent au démarrage mais ensuite les pages se tournent toutes seules, emportées par le souffle glacial d'une bise canadienne. Pas l'haleine de caribou.
Je veux bien miser mon livret A sur la consécration littéraire d'Emily St.John Mandel. Rien que son nom fleure bon la postérité.
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