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Critique de Biblioroz


De la fenêtre de son bureau, Joseph, notre narrateur, regarde la pluie assombrir et noyer l'horizon. Ce temps maussade s'accorde aux sombres pensées qui l'accaparent. Quelques heures avant, sa femme Ruth et lui sont rentrés du cimetière. Il note la désolation qu'offre ce mois d'octobre sur la végétation. Seul un cerisier moribond tente désespérément une dernière floraison hors saison ; un gauphre a mangé ses racines.
Sur le retour, la maison voisine et la cabane de Peck évoquent déjà de tristes souvenirs, ceux contre lesquels Joe pensait se prémunir en se terrant ici, dans ce coin choisi de Californie. Sa femme et lui se contentaient alors de balades, de jardinage, bricolage et lectures. Mais la sérénité que Joe cherchait après le décès de son fils a été gravement mise en péril par l'arrivée de Peck, puis, dans un tout autre domaine, par l'installation de la famille Catlin et plus spécialement par l'aura émanant de Marian.
« Je suis transi comme je l'ai été à la mort de Curtis. Cependant, alors que la disparition de mon fils m'avait poussé à trouver un terrier où me glisser, celle de cette jeune femme, que j'ai connue un semestre à peine, ne cesse de me forcer à sortir à découvert, et je déteste cela. »
Existe-t-il, quelque part, un sanctuaire hermétique à la souffrance morale ? Colères et chagrin se sont insinués dans sa vie paisible de retraité, alors il écrit, fouille au fond de lui-même, analyse, fait son autocritique et soulève ainsi la pierre, matière minérale qui le caractérisait, enfin c'est ce qu'il croyait.

– Roman végétal d'où s'extraient les senteurs capiteuses de la luxuriante végétation californienne. Au gré des promenades du couple, les environs s'animent et prennent du relief sous la plume époustouflante de l'auteur. La richesse du vocabulaire vient combler quelques lacunes personnelles !
À côté de l'extase d'un printemps précoce, des concertos d'alouettes et moqueurs, cette nature est aussi qualifiée de défectueuse par notre narrateur qui voudrait un véritable paradis. du côté végétal, le sumac venimeux, les sarments de concombre sauvage, le liseron, du côté animal, la mite du chêne, le gauphre avec ses dents jaunâtres, autant de nuisibles dont il se fait l'exterminateur.

– Roman choc sur les limites à tolérer des personnes dont on ne peut partager les idéaux, le mode de vie. Au détour d'une balade, ce choc est artistiquement dépeint lorsque Peck, campé sur sa moto, vient demander l'autorisation de camper au creux du vallon. Derrière une voix douce, un sourire flottant partiellement caché par sa barbe noire, son arrogance exaspère Joe mais il cède à la demande de l'étudiant. Cette présence indésirable, qui viendra se gonfler d'autres spécimens hippies, ne fera qu'attiser sa colère à l'encontre de ces jeunes en recherche, souvent excessive et trop libérale, d'un monde meilleur. L'antipathie de Joe, sa contrariété évidente, contrastent avec la pondération de Ruth et son ouverture d'esprit vis-à-vis des jeunes.
« Ce n'est pas un farfadet, c'est un farfelu. » dira Joe à sa femme.

– Roman de la difficulté et l'impuissance parentales face à un fils instable, courant inéluctablement à sa perte. L'agressivité de Joe n'est-elle pas tristement attisée par ce qu'il ne peut éviter de ressentir comme un échec vis-à-vis de son unique fils ? Responsabilité ou fatalité ?

– Roman de la vie tout court, ni bonne, ni mauvaise, défendue par Marian, cette jeune femme lumineuse, au regard si vif. Si frêle et en même temps si pleine de vitalité. Partisane d'un beau jardin livré à lui-même, arrivera-t-elle à adoucir les réactions acides et épidermiques de Joe ? Alors qu'il ne voit que les inconvénients et nuisances causés par les hippies « Elle les voyait comme des gosses jouant à l'utopie. »
Une chose est sûre, le terrier de Joe sera désormais ouvert à tout vent.

– Roman de la conversion d'un homme où les opposés s'affrontent, dans l'aversion ou dans l'amour. Où son impuissance face aux nuisibles trouve une répercussion sur la force vitale qui peut animer chaque végétal, chaque animal. Où la souffrance, amenée par une disparition, ne peut être écartée sans renoncer à des moments chers et chaleureux.

Un roman magnifique, à l'écriture grandiose, à l'histoire déchirante qui nous crie de ne pas sommeiller dans son terrier mais de vivre.
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