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Critique de Alzie


Alzie
08 février 2019
Des autoportraits qui n'en sont pas ou plus et, derrière les mimiques ou les grimaces, oubliés les visages. Des grands yeux vides ou à demi fermés. Des corps aux membres démesurés, des mains crispées, des contorsions, des poses plus ou moins affectées et des nudités en tout genre s'exposent crûment aux premières pages de ce volume de la Petite Collection 2.0 que Taschen consacre à Egon Schiele (1890 – 1918). Figure de l'expressionnisme et grand admirateur de Klimt, associé à la Sécession viennoise du début du XXe siècle, ce maître du dessin à eu sa rétrospective à Vienne et une exposition à Paris pour marquer le centenaire de sa disparition l'année dernière (Schiele et sa jeune femme enceinte de quelques mois ont été emportés par la grippe espagnole à trois jours d'intervalle). Si la police des moeurs du vieil empire déclinant des Habsbourg avait cité l'artiste à comparaître (accusé en 1912 du détournement et du viol d'une mineure, il fut détenu trois semaines avant d'être finalement condamné à trois jours de prison pour avoir répandu des dessins immoraux, les charges initiales étant abandonnées en cours de procès), ce sont des publicitaires qui ont refusé, en 2018, l'affichage en l'état des reproductions de ses nus dans l'espace public (pour la promotion de la rétrospective du musée Leopold à Vienne de février à novembre 2018). A Cologne, Hambourg et Londres on pouvait les voir dans les couloirs du métro ou les halls d'aéroports avec des bandeaux de pudeur sur les « parties incriminées » ! (La presse en a rendu compte, un essai récent d'Emmanuel Pierrat aussi : "Nouvelles morales, nouvelles censures", Gallimard, 2018). L'éclairage porté ici par Reinhard Steiner sur “l'âme nocturne de l'artiste” et sur des oeuvres érotiques jugées encore choquantes aujourd'hui est plutôt passionnant et de nature à faire tomber certaines oeillères.

L'analyse qui reprend quelques incontournables éléments biographiques et du parcours artistique de Schiele (“J'ai fait le tour de Klimt”), montre très bien les ressorts d'une création artistique dissonante et novatrice que son goût prononcé pour l'auto-représentation et son trait singulier interrogent. Une centaine d'autoportraits permettent d'inscrire Shiele, sans qu'il y colle totalement, dans une longue tradition picturale européenne remontant à Dürer et Rembrandt (“L'artiste et son double”). Mais l'observation de soi, fréquente et soutenue chez ce Narcisse moderne un peu vaniteux, qui défie les canons et l'académie, dépasse largement l'amour de soi et l'exhibitionnisme obsessionnel qu'on y décèle à première vue et dans lequel on pourrait l'enfermer. Sa production autocentrée, certes agressive et radicale, peut être comprise dans le périmètre élargi d'un travail répété et sans tabou sur l'expressivité du corps. La recherche a permis d'établir l‘intérêt particulier que Schiele, par l'intermédiaire de son ami Erwin Osen, portait à des manifestations physiques pathologiques (“Le corps, support de l'expressivité”). Aux sources intellectuelles diverses auxquelles il a pu puiser pour nourrir son inspiration, l'esprit fin de siècle qui baignait la capitale austro-hongroise lui a fourni son creuset bouillonnant. S'y mêlaient l'influence de la théosophie, celle des écrits de Nietzsche peut-être et, plus sûrement selon Reinhard Steiner, celle des travaux de Charcot et de Freud, sur l'hystérie, qui commençaient à être connus et à circuler... Et comme toute bonne analyse se doit d'offrir une perspective à ses lecteurs, celle-ci ne déroge pas à la règle : l'avant dernier essai sur le “Symbolisme visionnaire” de Schiele remplit parfaitement cet office, avant que l‘étonnement et la vraie surprise ne soient provoqués pour moi par les paysages naturels ou urbains des dernières pages, visions presque décalées dans cet ensemble, venant rappeller par leur sombre beauté que l‘artiste était aussi un poète disparu bien trop précocement.
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