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Critique de CeCedille


En ces débuts de la IIIème République, les ouvriers travaillent déjà à la construction d'une ligne de chemin de fer dans les Cévennes. C'est à la fin du Second Empire, le 10 août 1868, que la ligne du Monastier à Mende est concédée à la Compagnie des chemins de fer du Midi et du Canal latéral à la Garonne par une convention signée avec le ministre de l'Agriculture. le 25 août 1873, le Conseil Général de la Lozère fixe comme priorité l'étude d'un chemin de fer de Mende à La Bastide.
Les Cévennes que parcourt Stevenson en octobre 1878 sont celles de la fin d'une époque. Il invoque Wordsworth " Montagnes et vallons et torrents, entendez vous ce coup de sifflet ?"... "Une année ou deux encore et ce sera un autre monde" constate-il résigné. Il converse avec les ouvriers employés aux études topographiques travaillant sur la ligne, et, autour d'un vin chaud, les trouve "intelligents et de conversation agréable".
De fait, les Cévennes qui fascinent Stevenson sont plus proches de celles des camisards, deux siècles plus tôt, que de cette fin de XIXe siècle qui modernise les campagnes profondes. C'est un voyage dans le temps que propose notre auteur, plus encore qu'un cheminement dans l'espace. Des fantômes l'accompagnent : Rolland "généralissime des protestants de France", Cavalier "garçon boulanger doué du génie de la guerre" qui, passé à l'ennemi anglais, finira curieusement gouverneur de l'île de Jersey. le combat entre le persécuteur catholique François de Langlade du Chayla, et le chef protestant Esprit Séguier, avec leur fin tragique est saisissant. En a-t-on jamais entendu parler à l'école ? En 1972, le film de René Alliot avait été une révélation... faute d'avoir lu assez tôt Stevenson !
Il se passionne en effet pour cette guerre cruelle, qui se fait dans la ferveur des psaumes et la pétarade des mousquets. Inclinant pour les protestants, en coreligionnaire écossais, il reconnait équitablement la bravoure dans les deux camps en racontant quelques uns de leurs faits d'armes, au gré des chemins qu'il parcourt, scrutant dans ses rares rencontres, les signes et les descendants de ces temps farouches. Il voit en effet des catholiques et des protestants toujours sûrs de leurs dogmes, mais, à sa grande surprise "cent soixante-dix ans après, le Protestant était toujours protestant, le Catholique toujours catholique, dans une mutuelle tolérance et douce amitié de vie." "Catholiques et Protestants avaient les rapports les plus aisés du monde".
Il y a bien sûr, dans ce récit, l'élément comique de la petite ânesse gris souris, Modestine impavide, obstinée et fantasque qui désespère son accompagnateur. Gille Lapouge, dans une savoureuse préface à l'édition de poche, démontre avec malice et maestria que "c'est Modestine qui donne au récit son style". Un film récent (Antoinette dans les Cévennes - septembre 2020 -) en a compris et transposé la leçon. Les amateurs du GR70, dénommé chemin de Stevenson sur une longueur de 272 k, trouveront certes quelques récits cocasses des difficultés à bâter un âne ou à le retenir d'emprunter les chemins de traverse.
Mais, pas plus que "L'usage du monde" de Bouvier, le récit de Stevenson n'est un guide de voyage. Dans ses nuits "à la belle étoile" (en français dans son texte), il se reconnait dans une forme de panthéisme qui transcende ces religions avec lesquelles il dialogue pourtant volontiers, sans crainte du prosélytisme insistant des trappistes de Notre-Dame des Neiges ou du Frère de Plymouth rencontré sur le sentier, auquel il assure, avec diplomatie, "qu'il n'est point facile de préciser qui connaît le Seigneur et ce n'est point en tout cas notre affaire. Protestants et Catholiques, voire ceux qui idolâtrent des pierres, peuvent le connaître et être connus de lui, car il est le créateur de toutes choses". Ajoutant avec un prudent oecuménisme : "nous sommes tous embarqués sur la mer démontée du monde, tous enfants d'un même père et qui s'efforcent sur beaucoup de points essentiels, d'agir de même et de se ressembler".
Lien : https://diacritiques.blogspo..
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