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Critique de Charybde2


Un formidable manifeste philosophique et politique de 2006 pour mieux appréhender et combattre l'emprise de l'imaginaire capitaliste – conquérant ou persistant – sur nos vies réelles et numériques.

Sur le blog Charybde 27 : https://charybde2.wordpress.com/2024/02/25/note-de-lecture-reenchanter-le-monde-bernard-stiegler-ars-industrialis/

Bernard Stiegler (1952-2020) est certainement l'un des plus importants philosophes contemporains. Avec son parcours puissamment atypique, sa plongée relativement tardive (à vingt-six ans) en philosophie, avec le soutien notable de Jacques Derrida, philosophie découverte dans l'ascèse de la prison toulousaine où il purgea de 1978 à 1983 sa peine pour braquage (entrepris pour sauver son bar rock de la faillite), il représente une voix puissamment distinctive, fort peu académique et néanmoins nourrie en profondeur du travail de ses prédécesseurs, au sein de la pensée actuelle, à la charnière de la philosophie politique et de la pensée du numérique. Préoccupé ô combien légitimement par ce que nous fait la généralisation ubiquitaire de la digitalisation de nos vies sous emprise capitaliste et consumériste, il crée en 2005 le collectif Ars Industrialis et en 2006 l'Institut de recherche et d'innovation à Beaubourg, héritier moral si ce n'est spirituel du Centre de création industrielle qui, de 1969 à 1992 et sa fusion en forme de disparition au sein du Musée National d'Art Moderne (où Bernard Stiegler assurera néanmoins le commissariat de l'exposition « Mémoires du Futur » en 1987), portait sa voix (de fait, principalement par le canal de la revue Traverses) résolument pluri-disciplinaire et déconstructiviste avant l'heure dans le design (et pas uniquement au sens utilitaro-esthétique du terme) et la récupération des imaginaires par des entreprises qui n'incarnaient pas encore « officiellement » le « Nouvel esprit du capitalisme » déchiffré en 1999 par Luc Boltanski et Eve Chiapello.

Publié en 2006 chez Flammarion, sous son nom propre associé à celui du collectif Ars Industrialis, « Rééchanter le monde », dont le sous-titre « La valeur esprit contre le populisme industriel » explicite largement toute l'ironie induite par le titre lui-même, fait figure à la fois de manifeste et de premier point d'étape d'un travail au long cours, toutefois brutalement stimulé en 2005 lorsque le Medef réunit en 2005 son « université d'été » sous le slogan « Réenchanter le monde », précisément. Droit de réponse indispensable, l'ouvrage va bien entendu infiniment plus loin que ce que laissaient supposer un an plus tôt les tâtonnements d'une « pensée corporate » toujours aussi utilitaire et incertaine.

S'il n'est à aucun moment envisageable de résumer en un ouvrage (ou a fortiori en une brève note de lecture) une pensée aussi complexe, évolutive et en prise sur les urgences du réel (on se souviendra de sa fort précoce prise de conscience de l'urgence climatique, par exemple) que celle de Bernard Stiegler, il n'en reste pas moins que ce « Réenchanter le monde » propose une lecture rare et tonique de ce qui est à l'oeuvre dans nos imaginaires de travailleuses et de travailleurs (salariés ou non) comme de consommatrices et de consommateurs, depuis une bonne trentaine d'années. En étudiant aussi bien le consommateur déchargé de son existence, les nouveaux appareils de l'esprit, le devenir-barbare du capitalisme pulsionnel que les changements nécessaires de paradigmes en matière de savoir et d'industrie comme d'information et de contrôle, Bernard Stiegler et Ars Industrialis nous offrent ici des munitions organisées et pensées, profondément salutaires, pour continuer à tenter de conquérir une émancipation toujours moins d'actualité en apparence.
Lien : https://charybde2.wordpress...
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