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Critique de Presence


Il s'agit d'un récit complet autosuffisant initialement paru en 2010.

Dans un bar abandonné au bord de l'océan, Fielding Bandolier (ou Frank Belknap) se rince le gosier seul et semble s'adresser au lecteur en lui expliquant qu'il est un tueur en série et qu'il a fait partie de nombreuses agences de police ou de maintien de l'ordre aux États-Unis. Il est victime d'hallucinations dans lesquelles il revoit l'une de ses dernières victimes. Il pense obéir aux injonctions qui semble émaner de la figure de proue surnommée Green Woman qui trône à coté du comptoir. À New York, Bob Steele se réveille. Il y a dans son lit 2 femmes dont il ne se souvient pas. Il est flic ; il enquête sur les meurtres d'un tueur en série surnommé Virgin Killer qui habille ses victimes de superbes robes blanches. Il a des tendances alcooliques marquées. Bandolier se prépare à assassiner sa prochaine victime : une fleuriste asiatique, mais il se rend compte qu'un autre tueur en série est également sur le coup.

J'ai un goût prononcé pour les romans de Peter Straub (en particulier Koko dont je garde en mémoire certaines scènes plus de 20 ans après), même si leur construction narrative est parfois très déroutante du fait de passage d'une époque à une autre sans indication pour le lecteur. "The green woman" est bâti sur ce principe de chronologie disjointe pas toujours explicite qui exige du lecteur une attention soutenue. La contrepartie réside dans la juxtaposition d'événements ou de sensations qui se répondent.

J'ai retrouvé avec plaisir cette structure alambiquée et les fulgurances visionnaires de Peter Straub. Il écrit un comics d'horreur et il ne ménage pas sa peine pour entremêler des horreurs visuelles viscérales et une horreur psychologique. Dans la première catégorie, le lecteur verra, entre autres, un individu observant ces mains se transformer en serres démoniaques, des spectres hantant les tuyaux des canalisations, une mystérieuse phalange manquante, une plongée cauchemardesque au coeur du Vietnam, des petites frappes qui agressent une victime à Londres, etc. Straub fait appel à des peurs viscérales de différentes natures pour rappeler au lecteur combien sa réalité est fragile derrière des apparences ordinaires. Il est aidé en cela par la vision artistique singulière de John Bolton. Ce dernier ne se contente pas de mettre en images des idées biscornues, il les passe au filtre déformant de sa propre vision.

Le travail de Bolton s'apparente à ce qu'il avait fait sur God Save the Queen. Il utilise des références photographiques pour les personnages et pour une partie des décors et il les triture jusqu'à ce qu'il obtienne un rendu de couleurs sursaturées qui mette en avant les éléments nécessaires à l'intrigue. Il compose également des illustrations à partir uniquement de son imagination comme les serres diaboliques ou les spectres des canalisations. Ce mélange de photographies très retouchées et de couleurs sortant de la palette habituelle (des camaïeux magnifiques de violet, mauve et rose) des bandes dessinées permet à la fois d'ancrer le récit dans une réalité très proche de la notre, et d'en faire un monde en léger décalage avec notre perception ordinaire où tout est possible. Ce travail complexe sur les images aboutit par exemple à une vision de la guerre du Vietnam complètement singulière, malgré le nombre d'auteurs qui l'ont déjà illustrée.

Et puis il y a l'aspect psychologique du récit. Peter Straub sait faire naître le malaise et l'horreur d'une passion pour la pêche, d'un découpage de poisson, comme d'un individu en train de vomir. Straub prend le lecteur par surprise en lui faisant douter de tout ce qu'il raconte. Y a-t-il vraiment une sorte d'amicale des tueurs en série ? La proue d'un ancien navire est-elle hantée par un esprit maléfique ? Y a-t-il une filiation secrète entre plusieurs générations de tueurs en série ? À quel point Bob Steele a-t-il déjà perdu pied avec la réalité (son mariage, la relation sexuelle dans l'impasse sordide, etc.) ? Est-il possible d'échapper à la logique dégénérée et implacable de Fielding Bandolier ?

J'ai pris beaucoup de plaisir à retrouver ce mode narration en apparence décousue et chaotique et à découvrir ces visuels dérangeants. Ce tome n'est quand même pas parfait car une fois achevé il m'a laissé un goût de trop peu. Straub et Easton ont compressé tellement d'éléments qui auraient mérité plus de place. L'introspection de chaque personnage aurait mérité deux fois plus de pages. La séquence dédiée à la guerre du Vietnam aurait pu faire l'objet d'un tome à elle toute seule. Il est vrai également que John Bolton propose des compositions qui rappellent de près des illustrations qu'il avait déjà réalisées dans d'autres histoires et que sa mise en page manque parfois de dynamisme. Mais globalement ce récit sort de l'ordinaire, il réussit à provoquer de vrais malaises chez le lecteur et il est impossible de parler de déjà vu ou de déjà lu.
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