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Critique de fabienlac


Styron fait revivre son enfance dans des récits à la ferveur évocatrice rare...



Si seulement votre libraire pouvait atténuer la défiance des lecteurs envers les nouvelles. Curieusement, alors que le temps de lecture s'étiole, que les sollicitations extérieures se multiplient, les lecteurs français continuent de bouder le genre tranchant et cristallin de la nouvelle. Sans doute par peur de rester sur leur faim ou de lire une pièce minimaliste au contenu appauvri. Peut-être aussi parce qu'il est difficile de rentrer dans une oeuvre et que l'on n'a pas envie d'en ressortir aussitôt que l'on a apprivoisé le style d'un auteur.

Toutes objections qu'il faudrait faire taire le temps de lire Un Matin de Virginie de William Styron. Ces trois histoires de jeunesse, qu'il faut considérer comme un triptyque et non comme trois pièces disparates, clôturent son oeuvre anthume. Styron apparait en filigrane à travers le personnage de Paul Whitehurst, auquel il prête tous les épisodes sa biographie. On retrouve chez Whitehurst l'enfance de Styron en Virginie et son incorporation chez les Marines lors de la guerre du Pacifique

La première nouvelle, Z comme Zéro, est tout simplement époustouflante. En une cinquantaine de pages, Styron aborde les thèmes de l'héritage paternel, des générations, de l'importance du récit dans la vie des hommes, de la terreur enfantine de perdre sa mère. C'est de la littérature à son plus haut degré de densité. Grâce à une écriture classique et une phrase limpide où le choix du mot juste prédomine, Styron nous plonge dans les sensations de son enfance américaine, bercée par les comics et les chants noirs baptistes à la radio. On est avec lui, quelques années plus tard, sur un navire de transport de troupes pendant la guerre du Pacifique, à attendre dans les odeurs pestilentielles que l'histoire rende son verdict.

Cette impatience ambigüe d'en découdre avec l'ennemi, présente dans Cinq histoires du corps des Marines, est sans doute un des plus beaux moments de l'oeuvre de Styron. Il dit sous la forme de la prose ce qui résiste aux concepts : cette fracture qui traverse le coeur des hommes jetés dans la guerre, ce sentiment mêlé du désir d'aventure et de haine de la guerre.

Dans Shadrach, Styron revient, après les Confessions de Nat Turner, qui contait la révolte d'un esclave noir, sur la ségrégation des états du sud. Les Confessions de Nat Turner furent attaquées à leur sortie, tant par les militants noirs que par l'Amérique blanche et conservatrice. Shadrach, un vieil esclave, traverse le pays pour être enterré sur la propriété de ses anciens maîtres, une famille de blancs ruinés, dont le joyeux chaos crasseux fascina Styron lorsqu'il était enfant. Styron explore le lien indéfectible et ambivalent qui unit les patriciens blancs à leurs anciens esclaves. Il parcourt le cimetière abandonné des anciens esclaves, aux tombes plus serrées qu'une rangée de dents. Là encore, l'écriture sans emphase de Styron fait signe vers ce qui ne peut être résumé en quelques mots, que toute mise en concept affadirait. Ce sont des récits qui portent leur flamme vers un mystère, jamais totalement éclairci.


Lire des nouvelles de Styron, c'est lire bien des romans.


Lien : http://bit.ly/1etOL9l
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