AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de enjie77


Ecrire un livre consacré aux anguilles et qui plus est, un évangile, peut paraître un défi étonnant. Patrick Svensson a relevé ce challenge haut la main en mêlant l'étude scientifique et le récit intime. Il a reçu, à cet effet, le prix August, l'équivalent de notre Goncourt en Suède pour cet ouvrage.

Originaire de Scanie, depuis son plus jeune âge, l'auteur a toujours accompagné son père dans ses parties de pêche. Il écrit de très belles pages consacrées à cette relation dont une particulièrement émouvante, celle où il trace le portrait de celui-ci, ouvrier asphalteur, « ces forçats sans chaîne » pour reprendre son expression si éloquente. Métier éprouvant, pénible, qui finira par avoir sa peau à cinquante-six ans. J'y vois dans cette fascination pour l'anguille, un lien symbolique qui relie l'auteur à son père, ce père qui lui a enseigné les rudiments de la pêche à l'anguille comme une forme de compréhension de ce poisson, ce père tant admiré avec lequel, il a beaucoup partagé. Mais l'absence, le deuil, engendre toujours plus ou moins des regrets, comme ceux de l'auteur, du temps où il étudiait à l'université. Absorbé par les études et les copains, il s'était quelque peu éloigné. La conscience aidée du chagrin vient ternir quelque peu les souvenirs.

Patrick Svensson alterne un chapitre dédié aux parties de pêche et un chapitre dédié à la science, à l'histoire, à la biologie, à l'écologie, aux traditions, à la mythologie et à la théologie jusqu'aux travaux sur l'E.M.I. (expérience mort imminente). L'auteur balaie énormément de domaines avec comme sujet central, l'anguille. le récit démarre avec Aristote, puis les anguilles de Trieste du jeune médecin Freud. L'anguille est un poisson mystérieux dont on ne connait pas encore tous les secrets. Il y a un très beau portrait de Rachel Carson, docteur en biologie marine, qui a passé sa vie à vouloir comprendre comment l'anguille pouvait s'adapter aux énormes changements qui marquaient le cours de sa vie. Sans compter aussi, toutes les expéditions telle que celle de Johannes Schmidt qui a publié, en 1923, ses vingt ans de travaux dans la revue scientifique Philosophical Transactions of the Royal Society of London et qui a reçu la prestigieuse médaille Darwin. C'est grâce à ses travaux que nous avons la quasi certitude du lieu où l'anguille se reproduit : la mer des Sargasses.

Le monde du silence fascine. Il reste encore tant de questions à élucider. Ce que j'ai beaucoup aimé c'est ce parallèle philosophique entre l'humain et ce monde marin. Nous faisons partie d'un grand tout mais il nous reste encore des blancs dans la genèse de la grande Histoire et c'est passionnant de se poser tant de questions qui n'ont toujours pas encore de réponse et c'est tant mieux !

Il y a un passage qui m'a beaucoup interpelée : la différence subtile qui existe entre le saumon et l'anguille. En un mot, je schématise mais le chapitre est très intéressant ; le saumon suit à la trace ses ancêtres, il sait précisément à quel endroit il doit retourner, il rejoint tôt ou tard son groupe prédestiné. L'anguille, elle, retourne à la vaste mer des Sargasses mais fraie sans aucune considération pour la provenance de ses partenaires. Et l'anguille est aussi vieille que la dérive des continents et depuis des millions d'années, elle n'aurait pas changé.
Mais l'anguille tant à se raréfier, plus l'anguille est exposé aux humains, plus elle meurt sans vraiment comprendre pourquoi « Tant qu'une partie de son cycle de vie nous échappe, nous ne pouvons pas savoir avec certitude pourquoi elle meurt. Tant que nous ignorons, par exemple, de quelle façon elle s'oriente dans l'océan, nous ne pouvons pas savoir ce qui l'empêche de le faire. Pour la sauver, nous devons la comprendre. C'est ce que souligne la plupart des rapports sur la situation de l'anguille aujourd'hui : pour l'aider, nous devons en savoir plus ».

Et pour cela, je vous laisse vous plonger dans cet évangile de l'anguille !
Je remercie vivement les Editions du Seuil ainsi que la masse critique privilégiée de Babelio qui m'ont permis ainsi de découvrir l'écriture très agréable de Patrick Svensson.

« Ce qui est caché chez l'anguille, est aussi ce qui est caché chez l'être humain. Et chercher solitairement sa place dans le monde, c'est sans doute en fin de compte la plus universelle des expériences humaines ».
Commenter  J’apprécie          7315



Ont apprécié cette critique (69)voir plus




{* *}