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Critique de jongorenard


C'était l'occasion rêvée. Un livre au titre aguicheur sur un animal dont j'entends parler depuis de nombreuses années, mais dont ma paresse m'en avait détourné d'une connaissance plus profonde. Un animal dont je savais qu'il se reproduisait dans une supposée Mer des Sargasses, mais que j'étais incapable de localiser sur le globe terrestre. Un animal qui a admirablement su conserver son aura de mystère, mais dont l'aspect rebutant de charognard gluant et nu ne m'avait jusqu'à présent pas donné envie d'en percer les secrets. Ce sont quelques raisons qui m'ont poussé à la lecture de "L'Évangile des anguilles". Et je dois dire que j'ai bien aimé. En alternant des chapitres d'informations scientifiques sur l'anguille, d'autres sur la place de l'animal dans l'histoire des sciences, d'autres encore sur les souvenirs de pêches de l'auteur avec son père, tout cela émaillé de réflexions écologiques, philosophiques ou spirituelles, Patrik Svensson m'a agréablement tenu la main sur les traces de la bête. L'histoire commence donc dans la Mer des Sargasses où se reproduit l'anguille. C'est alors que, à l'état de larve et poussée par des désirs vagabonds, elle se laisse dériver vers les rivages de l'Europe où elle peut mettre jusqu'à trois ans à arriver, elle y remonte les rivières, son corps vitreux jaunit, s'épaissit, et poursuit sa vie de manière tranquille et discrète. Mais ensuite, pour une raison ou une autre, dix ans, vingt ans ou trente ans plus tard, quelque chose va se briser et l'anguille ressentira le besoin d'errer à nouveau, mais cette fois à reculons. Elle redescendra la rivière et retournera à la mer, se métamorphosant en une créature marine. Sa couleur prendra des teintes argentées, ses organes reproducteurs se développeront tandis que ses organes digestifs s'atrophieront, et après un long voyage de plusieurs mois, elle se reproduira et disparaîtra quelque part dans la Mer des Sargasses. On ne sait pas encore exactement ce qui lui arrive, mais une chose est sûre : si elle disparaît, ses descendants, les larves translucides en forme de minuscules feuilles de saule qui recommencent le cycle, apparaissent à sa place. le récit de Patrik Svensson est fascinant tout comme sont plaisants les chapitres qui portent sur les personnes qui ont étudié les anguilles. On y croise des célébrités comme Aristote, Rachel Carson ou Sigmund Freud (vous ne serez pas surpris d'apprendre que ses études sur les anguilles consistaient à trouver les testicules des mâles). J'ai trouvé aussi intéressant d'apprendre que les Pères pèlerins arrivés en Amérique sur le Mayflower ont survécu en grande partie grâce à leur consommation d'anguilles qu'un Amérindien leur avait appris à pêcher. Pourtant, la dinde a supplanté l'anguille au repas de Thanksgiving. Et puis les souvenirs de pêche de l'écrivain avec son père m'ont ému et m'ont ramené des années en arrière où, enfant, j'allais moi aussi à la pêche avec le mien. Comme l'auteur, je dois être intéressé par la compréhension et le souvenir de ma relation avec mon père et par la façon dont il a pu être à la fois quelqu'un de profondément familier et rester un mystère, tout comme l'anguille. le chapitre consacré à la tradition de la pêche à l'anguille m'a par contre dérangé. Patrik Svensson y présente la position des défenseurs de la pêche : « Si on ne peut plus la pêcher – la capturer, la tuer et la manger – on va cesser de s'y intéresser. Et si on cesse de s'y intéresser, elle sera perdue. » Aucun contre-argument n'est présenté derrière cette déclaration, ce qui pourrait amener les lecteurs à croire qu'il s'agit de l'opinion de Svensson jusqu'à ce que, huit chapitres plus loin, il admette avec hésitation que la pêche peut effectivement être une raison pour laquelle le nombre d'anguilles semble diminuer. Faut-il chasser, tuer ou manger un animal pour prouver qu'on s'y intéresse ? Alors certes, le texte de Patrik Svensson laisse beaucoup de questions sans réponses, quelques zones d'ombres et l'on peut ressortir de cette lecture avec un sentiment de frustration ou d'incompréhension. Mais c'est aussi un texte sensible sur un environnement en danger, une sensibilité qui n'est que renforcée par le courage de l'auteur d'y inclure ses expériences personnelles, donnant ainsi raison à son intérêt pour le sujet ainsi que la preuve de son désir insatiable d'explorer l'inconnu. Je vais à présent regarder l'anguille d'une manière différente, moins gluante, y découvrir peut-être une lueur espiègle dans les yeux.
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