Insectes : Un monde secret

L'une des plus belles choses que je connaisse, ce sont les grands chênes très âgés. Ils se dressent fièrement, héritage d'un autre temps. Des chênes qui poussèrent et grandirent à une époque antérieure à la lampe à incandescence et aux réseaux sociaux, une époque où des trolls vivaient encore parmi les vieux arbres et non pas sur les pages internet aux reflets bleutés de nos ordinateurs.

Espérons tout de même qu'on ne finira pas dans un monde où l'on s'imaginera être capable de remplacer les fonctions infiniment sophistiquées de Dame Nature par des mécanismes modernes. En milieu naturel, plus de vingt mille espèces différentes contribuent à la pollinisation des fleurs sauvages et des plantes cultivées, et la recherche montre que la pollinisation est plus efficace quand une multitude d'espèces différentes, capables d'adaptations diverses, y contribuent

Si nous cessons de nous contempler le nombril, nous constatons que cela va bien au-delà de la fonction utilitaire. Au stade de nos connaissances, notre planète est le seul endroit où il y a de la vie. Beaucoup de personnes pensent que nous les humains avons l'obligation morale de limiter notre domination sur le monde, afin que les millions de créatures qui le peuplent avec nous puissent aussi avoir une chance d'y vivre leurs drôles de petites vies.

Les coléoptères de la farine ne sont pas les seuls insectes qui peuvent contribuer à résoudre le problème du plastique. La mite de la cire (Gallérie ou fausse teigne) est un papillon considéré comme nuisible par les apiculteurs parce qu'ils dévorent les tablettes de cire à l'intérieur des ruches. Mais la cire d'abeille a une structure similaire de celle du polyéthylène qui est le type de plastique utilisé dans les sacs de courses des magasins. Il apparaît que cette fausse teigne peut bel et bien faire des trous dans le plastique des sacs et le transformer en éthylène glycol, une substance que nous connaissons sous forme d'antigel pour les voitures. Une fois encore, tout le mérite ne revient pas aux larves elles-mêmes, car si sans faire de sentiment on fait de ces bons samaritains de la purée de larve et qu'on l'étale sur un sac en plastique, il y aura également des trous.

En l'espace de quinze ans, ce médicament avait tué, chiffre affolant, 99% des vautours que comptaient le pays parce que le principe actif toujours présents dans les cadavres de vaches avaient été transmis aux vautours qui les mangeaient. Les vautours ont eu des insuffisances rénales et en sont morts. Même si des insectes nécrophages travaillaient sûrement en quatrième vitesse, ils ne sont pas venus à bout d'aussi grandes quantités de charognes tout seuls. Par conséquence, les vaches mortes gisaient sur place. Une fois les vautours disparus, un autre grand animal charognard est entré dans l'arène : le chien sauvage. Le nombre de chiens sauvages a explosé. Beaucoup parmi eux sont porteurs de la rage. La surpopulation de chiens sauvages qui était la conséquence de la disparition des véritables charognards a provoqué la mort de quarante-huit mille Indiens, des suites de la rage.

Car le fait que nous sommes à l'étroit sur cette terre. Nous sommes déjà 7 milliards d'êtres humains et à chaque minute qui passe, ce chiffre augmente de cent quarante. Cela correspond à un accroissement équivalent, une fois par mois, à la population de la Norvège. Et quand il s'agit d'apporter de la nourriture à tous ceux-là, les insectes sont de loin plus performants que nos animaux. On estime que les sauterelles dans les conditions optimales sont douze fois plus efficaces que le gros bétail pour ce qui est de transformer l'alimentation en protéines.
De plus, ils n'ont besoin que d'une infime quantité d'eau et ne génèrent presque pas d'excréments, comparés à une vache. Car la vache n'en a rien à faire de l'environnement, si vous me pardonnez l'expression. Une vache fait de nombreuses tonnes de bouse par an. Le problème, c'est que la dose générée de méthane et d'autres gaz à effet de serre est loin d'être anodine, alors qu'on trouve très peu de saloperies de ce genre dans les excréments des insectes.

Autrement dit: les araignées du globe pourraient dévorer tous les êtres humains de la terre en un an et avoir encore faim... Alors, tant mieux si elles préfèrent plutôt s'empiffrer d'insectes !

Les insectes sont effectivement une nourriture saine. Bien entendu, cela dépend du type d'insecte, mais en règle générale les insectes ont une teneur en protéines équivalente à celle de la viande de boeuf, tout en ayant peu de matière grasse. Les insectes renferment aussi beaucoup d'autres éléments nutritifs importants: il arrive que la farine de grillon ait davantage de calcium que le lait et deux fois plus de fer que les épinards.

Par ailleurs, nous devons raisonner à long terme et prévoir de reboiser avec de jeunes chênes susceptibles de devenir creux, en temps utile avant que les vieux ne meurent.

C'est si vite fait d'abattre un chêne creux qui gêne le progrès - sous forme d'un élargissement de la chaussée ou d'immeubles neufs avec terrasse. Cinq minutes avec une tronçonneuse, et le géant qui a germé pendant la peste noire, qui a vu naître et s'éteindre la Renaissance et la révolution industrielle, gît à terre, fauché net. Sauf qu'il faudra sept siècles pour retrouver un chêne du même calibre. Et entre-temps, où vivront les insectes?

Il arrive que l'éclairage des rues altère localement la composition des espèces d'insectes. La lumière artificielle réfléchie par des surfaces brillantes est capable, elle aussi, de désorienter les insectes terrestres qui pondent dans l'eau. Là où nous, nous voyons une voiture garée sous un réverbère, la libellule distingue simplement une lumière réfléchie semblant provenir d'une étendue d'eau et elle pond la production d'oeufs de toute une vie au mauvais endroit.