Un bon gros bouquin comme on les aime (854 p chez Folio), de la belle littérature qui fait découvrir un pays - la Hongrie - au cours des années 30, qui nous apprend plein de choses intéressantes sur les modes de vie,
L Histoire, les débuts du socialisme et du fascisme, la pauvreté ahurissante et choquante des paysans, avec des enfants qui n'ont pas de chaussure et s'enveloppent les pieds de journaux pour marcher dans la neige. Un gros bouquin enthousiasmant malgré la dureté et la tristesse du sujet ; le ton est allègre, toujours positif, on sent que le livre est bâti sur un certain optimisme et que le récit se dirige vers une fin ouverte et pleine d'espoir...
Le jeune Béla est un enfant disgracieux, pas très attachant, insolent, mais avec un caractère fort et une intelligence très vive ; pas de père, une mère repartie à Budapest après sa naissance, souvent malade, qui n'envoie qu'irrégulièrement la pension de son fils à la vieille femme qui en garde huit comme lui ; un enfant qui se sent complètement abandonné, et qui a faim.
" Comme dans un roman à un sou, ma vie débuta par une tentative de meurtre sur ma personne. Dieu merci, cela m'arriva cinq mois avant ma naissance ; je pense donc que je n'en fus pas autrement affecté.... Ma mère avait tout juste seize ans ; et, à moins que les apparences ne m'abusent, elle n'avait aucune envie que je l'appelle maman." (p 11)
Comme elle le hait, tante Rozika, la vieille prostituée faiseuse d'anges qui l'a en garde, l'empêche d'aller à l'école ; mais dans ce petit village rural, il y a un instituteur formidable, un maître exceptionnel, qui perçoit ses qualités et exige qu'il fasse quelques études. Fou de joie de pouvoir être instruit, Béla sera un excellent élève tant qu'il pourra être scolarisé. Il y a des dialogues extraordinaires entre le maître et l'élève, et le regard de celui-ci sur l'adulte est à la fois admiratif et très reconnaissant, même si, dit-il, son esprit de petit paysan ne le comprit jamais tout à fait...
Petit à petit l'enfant grandit, à 15 ans il retrouve son père, Beaumichel coeur tendre mais personnage inconséquent, et sa mère Anna, après de multiples péripéties et va travailler dans un grand hotel de Budapest ; là de nouveau une vie compliquée l'attend " ... moi, gueux entre les gueux, je me trouvai du jour au lendemain mêlé aux riches les plus opulents."
Mais il y a partout des personnages attentifs et chaleureux, prêts à partager amitié et conseils avisés ; et ses parents sont fiers de lui, il a un fidèle ami, communiste, qui cherche à le convaincre du bienfondé de ses idées mais qui fera tout pour le protéger.
Béla va découvrir la grande disparité entre le monde où il habite, une banlieus éloignée de Budapest et extrêmement pauvre, et celui où il travaille ; un contraste difficilement compréhensible : " Chaque matin, quand j'arrivais du Faubourg des Anges et que je pénétrais dans le hall aux colonnes de marbre, j'avais l'impression de m'introduire clandestinement dans le camp ennemi."
Le pouvoir des petits chefs, jusqu'aux concièrges d'immeubles pauvres aux pouvoirs exorbitants, le régime autoritaire de l'amiral Horthy, la pression de criminels et la violence de la police, la peur des Rouges... tout est décrit de façon très vivante. le roman permet cette appropriation par le lecteur des réflexions de l'auteur et de ses révoltes.
La vie du jeune homme, c'est aussi de voir tout un immeuble se priver de nourriture pour nourrir un bébé, l'écriture de poèmes qui jaillissent tout seuls de son cerveau, l'amour fou pour une femme très riche...
Sous la coupe de "Saleflic" qui veut organiser avec lui un mouvement calqué sur celui des jeunesses hitlériennes, le seul espoir de Béla est d'être un jour sur le bateau qui part vers l'Amérique...
Intelligent, captivant et bien écrit, un livre-fresque qui a tout pour enchanter ses lecteurs.
Extrait p 115 : " Chaque matin, je me réveillais en proie à une merveilleuse curiosité, comme celle des autres enfants le jour de leur fête ; et, le soir, je m'endormais avec la conviction que je n'avais pas perdu ma journée. Qu'il est bon de ne pas regretter le temps qui passe !... À l'automne, je pensais : je voudrais être en hiver, car je saurai mes lettres. En hiver, je me disais : je voudrais être au printemps, car je saurai lire et écrire. Au printemps, je souhaitais la venue de l'été, quand j'aurais terminé ma première année !"
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