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Critique de Kirzy


Kirzy
18 février 2024
De Ruines et de gloire est le troisième volet d'une fresque historique racontant le destin d'une famille kabyle algérienne de 1939 à 1962. Ce qu'il y a de formidable avec ce pur conteur qu'est Akli Tadjer, c'est qu'alors que je n'avais pas lu les deux tomes précédents, j'ai eu l'impression d'avoir tout compris du vécu des deux personnages principaux, le père et le fils, tant l'auteur distille toutes les informations nécessaires, sans lourdauds rappels, pour s'attacher à ses personnages dès les premières pages.

Après deux volets consacrés au père, ancien soldat indigène durant la Deuxième guerre mondiale, place au fils en 1962. Adam El Hachemi Aït Amar est avocat au barreau d'Alger. Il attend avec impatience sa première grosse affaire. Mais ce n'est pas celle qu'il avait imaginé. Il va devoir défendre une fervente partisane de l'Algérie française.

Le contexte historique des derniers feux de la guerre d'Algérie est remarquablement reconstitué. Nous sommes en mars 1962, quelques jours après les Accords d'Evian qui proclame un cessez-le-feu. Cette période d'immédiate pré-indépendance est finalement méconnue et j'ai été saisie par le chaos décrit, à savoir aucun cessez-le-feu mais une guerre sans merci entre l'OAS et le FLN entre attentats, exécutions sommaires et assassinats ciblés, des haines qui se recuisent à l'excès, avec une population ( quel que soit son bord ) prise en otage et un exode des Pieds-noirs qui démarrent.

Le 26 mars, une fusillade a éclaté rue d'Isly à Alger. Les troupes françaises ont tiré sur des civils désarmés lors d'une manifestation pro-OAS. Bilan une quarantaine de morts, près de 200 blessés. le fait déclencheur n'a jamais été totalement éclaircie, mais la version la plus plausible mentionne, comme fait déclencheur de la répression, des tirs partis d'un immeuble en surplomb visant les soldats. Akli Tadjer donne un visage à ce tireur initialement anonyme : Emilienne Postorino, celle qu'Adam doit défendre.

Deux personnages de 24 ans, du même pays mais qui ne voient pas l'avenir de la même façon ; un idéaliste qui rêve de mettre son talent au service de l'indépendance de l'Algérie et une jeune femme en colère qui ne veut pas perdre le pays qu'elle aime, quitte à prendre les armes. L'antagonisme peut sembler artificiellement caricatural mais l'auteur le traite avec un doigté subtil qui évite tout manichéisme en faisant évoluer le dilemme cas de conscience d'Adam tout comme la posture radicale d'Emilienne, et ce sans jamais verser non plus dans l'écueil inverse, à savoir un trop plein d'angélisme béat qui ne serait que bonnes intentions.

Akli Tadjer a le romanesque généreux. A cette intrigue principale nouée autour de la relation entre l'avocat et sa cliente, il ajoute un arc narratif autour du père et de ses agissements mystérieux à el-Kseur. Dans le dernier quart, j'ai trouvé qu'il en faisait un peu trop avec deux événements excessivement rocambolesque qui détonnent avec le reste. Mais la période est tellement extra-ordinaire qu'on se dit que tout est possible, au final, même le plus invraisemblable.

J'aime énormément les romans qui font découvrir la grande Histoire à travers les trajectoires intimes de héros somme toute ordinaires. Et là, on est dans le très bon avec en prime un regard humaniste dont on a particulièrement besoin par les temps qui courent. Les événements racontés sont sombres, et pourtant on sent à quel point Akli Tadjer veut faire vivre la flamme de l'espoir et de la résilience. Certes, cette flamme vacille mais elle ne s'éteint jamais dans ce beau roman qui permet de faire comprendre avec clarté et sans rancoeur les enjeux humains qui ont été au coeur du colonialisme, de la guerre d'Algérie et donc qui sont au coeur de la déconstruction coloniale. Poignant.
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