Alger était belle comme toujours. Comment se peut-il qu'une aussi jolie ville avec un ciel si pur et des flots si bleus puisse charrier autant de malheur, de larmes, de souffrance ?
Mais les déracinés me touchent parce que je sais ce que c'est d'être toujours l'étranger dans le regard de l'autre. Émilienne Postorino est de cette race-là. Elle va subir l'exil dans un pays qu'elle ne connaît pas, qu'elle n'aime pas et dont elle ne veut pas entendre parler.
Monsieur préfère mourir plutôt que de laisser aux bicots tout ce que les siens ont bâti dans ce pays depuis cinq générations. Il préfère mourir une deuxième fois plutôt que d'être commandé un jour par des Arabes tout juste bons à garder leurs troupeaux de moutons. Enfin, il préfère mourir une troisième fois plutôt que de tout quitter pour vivre en métropole où, d'après le commissaire Maigret, l'hiver peut faire geler le canal Saint-Martin.
Des mots qui diront que la justice n'est pas la vengeance des hommes mais qu'elle doit être leur humanité.
J'ai mis longtemps à comprendre que la culture, plus que son armée, est l'honneur de la France. Nos morts ne sont plus que des noms gravés sur des monuments tandis que la poésie survit et survivra toujours.
- Vous avez déjà vu un Français ? Un vrai Français, j'entends ?
Hormis aux actualités télévisées et dans les films où les acteurs causent avec l'accent pointu, il n'en a jamais vu, ni de près ni de loin.
- Qu'est-ce qu'ils ont de plus que moi ces Francaouis ? s'agace-t-il.
- Qu'est-ce que vous avez de moins qu'eux plutôt ? Vous allez apprendre à vos dépens ce qu'être étranger dans son pays. C'est la leçon que j'ai retenue de mes années d'études à Paris.
- Vous et moi, ça n'a rien à voir. Ce n'est pas pour vous vexer, mais personne n'aime les musulmans. De toute façon, je serai champion du monde et ils m'aimeront comme ils ont aimé Marcel Cerdan. Lui aussi, c'était un gars d'ici, il était natif de Sidi Bel Abbes.
- Et si vous n'êtes pas champion ?
On ne libère pas un peuple. Un peuple se libère par lui-même.
- Je vais vous laisser votre bled, maître. Vous allez nous regretter. On a tout fait ici.
- Tout fait pour vous. Vous êtes venus chez nous pour créer un pays sans nous. Voilà la vérité.
- Pourquoi nos roumis n'ont-ils pas leur mot à dire ? Nous, on a l'habitude, on ne nous demande jamais notre avis, mais eux, ils sont les premiers concernés.
- Le président de Gaulle les considère peut-être comme des sous-Français. Ça doit être pour ça qu'à Paris on appelle l'Algérie la Sous-France, ai-je répondu sans plus de réflexion.
‒ A l’Algérie de demain, cher Adam. Qu’elle soit apaisée, heureuse et libre, répond-il.
‒ A la France libérée de ses colonies, cher Gabriel.
(p. 283, Chapitre 28).