Dans ma tasse
juste assez de lait
pour que j'y voie ma peau
mon homme dans l'avenir
comme le sable fin de Djerba
avec des yeux
à me faire croire que je bois le ciel.
p.71
À demi
dans deux vies
j'ai fini par croire
que j'étais complète
rapiécer tous les bouts de moi
pour me faire un trophée.
p.72
Sept ans
vacances d'été en Tunisie
mes parents à Montréal
Les cousines portent des années en trop
pour se divertir en ma compagnie
solitaire au salon
je suis convaincue
que Tata fait exprès de mettre
de la neige dans la télé
pour adoucir mon dépaysement.
p.9
PROLOGUE
Extrait
Il y a toujours, chez l’enfant qui n’a pas le même
pays de naissance que ses parents, l’instant où
l’autre patrie dévoile sa fragilité et ses imperfec-
tions.
C’est une sorte de désenchantement.
Où l’on comprend que là-bas n’est pas mieux
qu’ici.
Il n’existe pas de pays refuge. Et nous serons
toujours un peu l’autre où que l’on aille.
Ce désenchantement est à la fois tragique et
salvateur.
C'est dans l'écriture que j'ai trouvé pays, une
poésie au-delà des frontières.
Je suis née à Montréal de parents tunisiens.
Moi, figuier sous la neige, c'est un voyage dans
mes souvenirs pour revivre leurs magies, l'espace
d'un poème....
p.5
Acheter la valise
remplir la valise
peser la valise
refaire la valise
écraser la valise
sacrer sur la valise.
p.7
Pour que le lac
devienne la mer
faudrait une crisse
de grosse salière.
Dans le jardin paternel
un figuier se penche
prêt à hiberner
les précautions sont grandes
il ne gèlera pas
l'été
la figue miraculée
se laisse cueillir
l'espace-temps se contorsionne
le désir fait pousser
ici ce qui vient de là-bas
ce figuier
est mon frère.
p.60
Au crépuscule
une mer huilée de nuances bleues
encore inconnues
au fond de l'œil
deux moi de vacances
grains de sel de beauté
sur la peau mélasse
asséchée par l'étoile de feu
le lac
le Noroît
l'espace
entre les arbres
entre les gens
frôlent mon esprit
une vague les efface
le sable est lisse
la mer l'emporte.
p.40
Quatre heures du matin
le tumulte ambiant
inclus dans la location des maisons
au bord de la mer
c'est l'heure où
djinns passent
les chiens aboient
les coqs avertissent le soleil
au lit les yeux ouverts
je m'ennuie du bip bip
des remorqueuses en janvier
quand le voisin oublie de déplacer sa voiture
le ciel est prêt
mon sommeil s'éclipse.
p.34
Jusqu’au retour
je tente de maintenir l’essence
du bouquet de jasmin
malgré mes efforts
la traversée altère la couleur florale
comme moi
le jasmin n’est blanc
qu’en Tunisie
ailleurs
il est basané.