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Critique de michfred


Sauvage...

C'est le premier mot qui me vient...

Sauvage comme la nature exubérante de Mendocino,  Californie, au bord du Pacifique si mal nommé : une jungle où les pumas menacent les petites filles-et les grandes - où les veuves noires nichent jusque dans les douches, où le sumac vénéneux vous mord la peau comme une sangsue,  où un vieux chien endormi se fait éviscérer par les vautours.

Sauvage comme l'océan dont les vagues traîtresses vous entraînent au fond des gouffres, dont les lames immenses  submergent soudain  les îlots ou vous fracassent contre les falaises...

Sauvage comme Turtle, ou Croquette ou la besta, la ninja, la puce ...on en oublie son vrai prénom,  sauf à  l'école où  Turtle est Julia Alveston, la "moule illettrée " et rentre dans sa carapace, se faisant plus bête qu'elle n'est pour qu'on lui fiche la paix.

Sauvage comme elle, Turtle, cette petite warrior en treillis, qui sait nettoyer un fusil, remonter une carabine, cibler comme un tireur d'élite,  tendre des pièges, dépecer un animal au couteau, grimper aux arbres, faire du feu, marcher des kilomètres dans la jungle sus-décrite sans se perdre et qui sait même y retrouver les enfants gâtés égarés ...

Sauvage comme sa maison,  encrassée de graisses de cuisine et de fumée,  avec  ses poutres de sequoia mal équaries  son frigo vétuste et ses placards pourris remplis de canettes de bière et de conserves plus ou moins avariées,  sa chambre-tanière où elle dort par terre.

Et d'un seul oeil..

Sauvage comme  "papa", Martin le philosophe, Marty le misanthrope. Papa, l'homme des bois. Papa qui l'a éduquée pour survivre dans -ou à?- ce monde dangereux, entropique.  Papa le manipulateur, le prédateur. Papa le violeur. Papa qui la dresse, la possède, la surveille. Et qui l'aime. Papa dont elle est "l'Absolute darling" . Papa,  son terrible et pesant secret.

Papa,  le plus sauvage de tous.

Plus sauvage que tout.

Et pour mettre en musique cet affrontement de fauves, une écriture hypnotique, précise, charnelle qui fait humer les embruns, frissonner les herbes et tendre les nerfs jusqu'à la limite du supportable. Qui rend sensibles les rituels -aller jusqu'à l'arrêt du bus, nettoyer le Sig Sauer, lancer la canette, gober les oeufs- et les décline avec l'art des variations Goldberg,  qui fait percevoir les menaces, les vertiges et même  les ravages d'une attaque cérébrale.

Et qui sait surtout se mettre à l'écoute des sentiments compliqués de la petite Turtle, si tendre et si dure, si partagée entre haine et amour qu'elle se coupe de tous ceux qui essaient de lui venir en aide, à commencer d' elle-même. Une écriture magistrale qui suit les soubresauts d'une conscience de soi en gestation, d'une révolte lente, sourde, fragile, mais qui pourrait bien tout balayer comme les lames océanes. ..

Le sujet, delicat, douloureux, pouvait se prêter à tous les pires voyeurismes.

My absolute darling, premier roman génial, évite avec brio cet écueil grâce à cette sauvagerie originelle du paysage accordée à celle des personnages,  défendue par une écriture virtuose, poétique et violente, toujours très juste, qui m'a fait penser à Faulkner, à Donna Tart- dans le Petit copain.

Une symphonie qui se décline, se déploie et se déchaîne.

Je recommande chaudement!
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