Ce qu'il vit

- Tu n'es rien dans cette maison. Rien. Avec ta dégaine et ta gueule, tu penses vraiment que tu pourras t'en sortir ? Aider ta mère ? Vous m'appartenez, tu m'entends ? J'ai déjà détruit ma femme, m'occuper de toi sera un jeu d'enfant et, crois-moi, je me régalerai.
[...]
- Mais qu'est-ce qu'on a bien pu te faire pour mériter ça ?
- Ta simple existence me fout la gerbe, fils.
- Je pense que ça, c'est plutôt la faute du whisky.
- Fais le malin tant que tu le peux.

Tant qu'il survivait à la veille, cela lui suffisait. C'était ça, sa victoire. Survivre. Encore et encore. Mais pour combien de temps ? Pouvait-il espérer une lumière au bout du tunnel ou serait-il condamné à endurer sa vie, sa famille, sa solitude jusqu'à la fin ?

Parfois, souvent, elle s'étonnait de se voir encore debout face à toutes ces épreuves. Pouvait-elle tenir encore quelques temps ? Face à la violence de son mari et l'amertume assassine de son fils ? Comment faisait-elle pour tenir ? Et combien de temps réussirait-elle à rester debout sur ses jambes de plus en plus flageolantes ?

- Joyeux anniversaire quand même mon chéri.
- Fêter l'anniversaire d'un dépressif suicidaire qui n'a jamais demandé à naître... Tu ne crois pas que c'est manquer un peu de tact ?
Caroline le regardait, interdite. De toutes les horreurs qu'il avait bien pu lui dire, celle-ci les dépassait toutes.
- On dirait que tu gaves une oie. De la torture. C'est tout. Mais merci.

D'un côté, il comprenait la femme meurtrie qu'elle était, d'un autre, il ne parvenait pas à s'expliquer pourquoi sa mère continuait à tolérer son père. C'était une personne intelligente, elle savait pertinemment qu'en lui ouvrant, elle permettait à la violence et à la haine de rentrer avec lui. Pourtant, elle affichait une idiotie consternante quand il s'agissait de son époux. Pourquoi ne demandait-elle pas le divorce ?

Tant qu'il survivait à la veille, cela lui suffisait. C'était ça, sa victoire. Survivre. Encore et encore. Mais pour combien de temps ? Pouvait-il espérer une lumière au bout du tunnel, ou serait-il condamné à endurer sa vie, sa famille, sa solitude jusqu'à la fin ?

Caroline et Gabriel demeuraient pour lui une grande histoire de haine et de guerre quotidienne. Entre sa mère, probablement dépressive, qui voulait rattraper le temps perdu avec toujours plus de démonstrations étouffantes et écœurantes d'amour maternel, et son père, rarement présent, Jared n'était pas heureux et ne se gênait pas pour le faire comprendre. D'un autre côté, qui le serait en voyant son géniteur à peine une fois par semaine, complètement ivre, en train de hurler toujours plus sur sa mère ?

Combien de temps tiendrait-il ? Combien de temps réussirait-il à se tenir loin de toute joie de vivre ? Il s'en était bien protégé jusqu'à maintenant, même si, rarement, il recevait quelques étincelles de bonheur. Mais c'était suffisamment ponctuel pour qu'il redécouvre à chaque fois ses effets aussi bénéfiques que perturbants.