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Critique de berni_29


Le Chardonneret est tout d'abord une déflagration. C'est au sens propre comme au sens figuré une des premières scènes fondatrices de ce prodigieux et énorme roman de Donna Tartt.
C'est le souffle d'une bombe qui nous plaque au sol. Nous mangeons le plâtre des murs éclatés, la poussière irrite nos yeux. Nos tympans sont percés. Il n'y a rien à voir. Il n'y a plus rien à voir. Le jeune Théo Decker, treize ans, se relève tant bien que mal, et nous avec lui, mais sa mère reste au sol, dans ce musée new-yorkais dont il ne reste plus grand-chose, du moins dans la salle qu'ils visitaient quelques minutes auparavant. Nous marchons à tâtons dans les décombres laissés à nos pieds, au côté de Théo. Nous avons l'impression que le sol est fragile, prêt à céder à chaque instant sous nos pas. D'ailleurs, cette sensation demeurera présente jusqu'à la fin du roman, les personnages avancent comme si à chaque instant le sol était prêt à se dérober sous leurs pieds. Mais revenons encore un peu à cette scène fondatrice qui est vraisemblablement celle d'un attentat. La poussière de l'explosion redescend peu à peu au sol, nous commençons à apercevoir le décor autour de nous, un décor de guerre... Un vieil homme agonisant qui va mourir tend à Théo une bague, une adresse, lui désigne un petit tableau enfoui sous les gravats, lui intimant l'ordre de le prendre. Quelques instants avant l'explosion, il y avait une jeune fille rousse tout près de ce vieil homme, Théo s'en souvient à présent. Où est-elle ? Qu'est-elle devenue ? Morte sous les décombres ou bien en fuite… ? Va-t-il la retrouver ? Nous le saurons plus tard. Théo se saisit du tableau, l'enfouit dans son sac à dos et de ce geste presque inconscient et impulsif va naître une histoire, que dis-je, une fuite, une traque, une descente aux enfers, un dédale de ténèbres et d'enchantement sur quatorze ans…
Ce tableau s'intitule justement le Chardonneret. Vous l'aurez compris, ce tableau est encombrant, non pas par sa taille, Théo s'en arrange d'ailleurs très bien pour l'enfouir furtivement dans son sac à dos, mais par sa valeur. Monétaire certainement, il s'agit en l'occurrence d'une petite toile de 1654, peinte par un maître hollandais, Carel Fabritius. Mais aux yeux de Théo c'est aussi un tableau que sa mère chérie et exclusive, morte à présent, adorait plus que tout. Et c'est ainsi que ce tableau va devenir le personnage principal de ce livre, objet de fascination pour Théo, puis peu à peu d'obsession, objet à la fois brûlant comme un diamant incandescent et encombrant, objet de toutes les convoitises et donc de toutes les traques.
Alors, laissons-nous emporter dans cette course-poursuite, ce road-movie entre New-York, Las Vegas, Amsterdam… Nous sommes pris dans ce voyage comme un dans un tourbillon. Il n'est pas facile de reprendre son souffle, nous sommes au plus près de Théo et très vite nous nous attachons à ce personnage naïf et complexe. Nous le voyons grandir avec ses blessures, ses failles, les douleurs qu'il trimballe d'un passé familial aussi encombrant que le tableau qu'il cherche désespérément à cacher. Les autres personnages qu'ils croisent dans cette épopée sont tout aussi attachants que lui, tout aussi complexes et ambigus aussi.
Nous ouvrons des portes et des couloirs s'enchaînent qui ressemblent davantage à des labyrinthes qu'à des issues de secours. Où trouver la sortie ? Le vertige nous prend à la gorge, nous sentons le sol craqueler sous nos pieds. Il nous faut faire vite... C'est une Amérique sombre et qui sombre, une sorte de fin du monde que nous touchons du doigt. Comment Théo, petit être fragile et candide, peut-il s'éveiller dans ce marigot ?
Donna Tartt est une magicienne. Elle fait les personnages de son roman se relever des décombres d'un attentat. Elle sait aussi les amener à se relever d'autres décombres, celles de la vie qui laisse des blessures parfois indélébiles. Chaque personnage chancelle, tout en donnant le change, il y a de belles histoires d'amitié et d‘amour dans ce roman d'apprentissage. Les personnages se relèvent sans cesse des décombres de leurs existences multiples, peu importe comment d'ailleurs, l'important est de se relever, d'avancer, réapprendre à marcher, réapprendre les gestes d'amour, ou les apprendre pour la première fois, être ensemble, les bras tendus vers le ciel.
Nous refermons ce livre, il y a encore un peu de plâtre sur les dernières pages, nous osons à peine balayer cela d'un revers de main. Quelque chose résonne encore dans nos oreilles. Est-ce le souffle d'une déflagration lointaine, ou bien des voix qui s'enchevêtrent mêlées de gestes d'amour dissonants et de pas qui courent, en fuite, toujours plus loin vers le ciel sombre qui brûle et penche de l'autre côté ?
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