Citations sur Adieu fantômes (11)
Personne n’est vivant – nous ne sommes tous qu’encore vivants. Nous habitons le temps du « pour l’instant ».
Avant de disparaître, après avoir arrêté de travailler, mon père lisait pour ne pas entendre le bruit de son mal-être, jusqu'à ce que l'effort qui lui en coûtait fût devenu insupportable.
Je suis une femme adulte clouée à l'obscurité par les poupées de son enfance. Les autres familles n'en auraient conservé qu'une : chez moi, on avait décidé de toutes les garder. Celle assise dans le panier, à l'endroit que j'occupais à peine née, bat des cils dans le noir.
La mort est un point final; la disparition, l'absence de point, de tout signe de ponctuation à la fin des mots. Celui qui disparaît redessine le temps, et une spirale d'obsessions enveloppe ceux qui lui survivent. Mon père, ce matin-là, avait décidé de se glisser hors de chez nous, il nous avait fermé la porte au nez, à ma mère et moi, sans nous juger dignes d'un au revoir ou d'une explication.
[Ma mère] portait une robe claire et courte, au-dessus des genoux, et s'était laissé pousser les cheveux jusque sous les épaules; son visage, malgré les soixante-huit ans qui auraient dû le marquer, était aussi énervant que celui d'une jeune fille; son corps mince s'interposa entre l'île et moi, comme une porte d'entrée vers la ville. Je remarquai qu'en grandissant - en vieillissant - elle avait commencé à me ressembler, comme si c'était elle, la fille; elle me sourit avec une naïveté qui avait un temps été la mienne : je ne l'avais pas perdue, découvris-je, je l'avais léguée à ma mère.
Pourquoi n’avais-je pas d’enfant ? Je ne le savais pas, je savais seulement que ni mon mari ni moi n’avions accepté de mettre au monde une créature susceptible de mourir avant nous, nous causant une peine intolérable, ou condamnée à mourir après nous, mais inexorablement, nous rendant tout de même coupables de l’avoir engendrée.
Je compris à ce moment ce qu’est vraiment une mère : quelque chose dont on ne peut pas s’abriter. Il est coutume de dire qu’une mère donne tout sans rien demander en retour ; personne ne dit qu’elle demande tout et donne ce que nous n’avons pas réclamé d’avoir.
La mémoire est un acte créatif : elle choisit, construit, décide, exclut ; le roman de la mémoire est le jeu le plus pur à notre disposition.
La mort est un point final; la disparition, l'absence de point, de tout signe de ponctuation à la fin des mots. Celui qui disparaît redessine le temps, et une spirale d'obsessions enveloppe ceux qui lui survivent. Mon père, ce matin-là, avait décidé de se glisser hors de chez nous, il nous avait fermé la porte au nez, à ma mère et moi, sans nous juger dignes d'un au revoir ou d'une explication.
La chambre dans laquelle j’avais dormi, joué, travaillé était restée figée dans le temps, à ceci près qu’à présent plancher et mur étaient encombrés par le magma d’objets échappés du débarras de la terrasse, que ma mère avait dû déblayer avant mon arrivée pour laisser le champ libre aux ouvriers. Une chambre morte, envahie par les flots de souvenirs.