Connie découvrit ainsi que la surdité ne touchait pas systématiquement les enfants de sa famille.
Dès lors, quand elle regardait sa soeur, elle ressentait quelque chose qui la dépassait. Ce fut sa première expérience de la pitié et de la compassion, mêlées au soulagement de ne pas finir comme elle et à la culpabilité d'en être soulagée.
On ne sait jamais rien de la vie des gens, en réalité.
La tendresse de sa sœur toucha Connie. Même si elle-même n'avait pas d'enfant, elle imaginait l'angoisse de Jeannette à la pensée de le quitter. Elle ravivait également un sentiment que Connie avait essayé de garder enfoui. Voir l'amour d'une mère pour son enfant était pour elle une souffrance, comme une plaie mal refermée, une vieille blessure qui semblait parfois sur le point de disparaître, mais qui se rouvrait quand elle s'y attendait le moins pour la faire grimacer de douleur.
_Ils voient en ce deuil et ce travail une partie d'un cycle naturel.Le corps n'est qu'une enveloppe.Plus la cérémonie est belle,plus l'esprit a de chances de devenir un ancêtre déifié.
Toute sa vie, elle n’avait eu qu’un objectif: être comme les autres, voire un peu meilleure. Elle avait toujours voulu être plus forte que sa surdité et ignorer son inaptitude à entendre ou parler.
En vérité, Connie aimait Bill Bunting depuis l'âge de quinze ans et Seb n'avait pas été sa première ni même sa dernière tentative pour se persuader du contraire. Elle n'épouserait pas Bill, elle ne le fréquenterait même pas, parce qu'il était le mari d'une autre femme. Il n'abandonnerait pas son épouse et, s'il avait été disposé à le faire, Connie aurait dû cesser de l'aimer. C'était une situation inextricable.
Connie redoutait la précarité, qu'elle soit physique, financière ou affective. sI elle avait dépensé autant d'énergie dans son travail, c'était sans doute aussi pour se protéger et se distancier des exigences sentimentales.
Noah haussa les épaules.Enfin,dans cette réalité si brutale,il trouvait un exutoire à sa colère.
_Je m'en moque.La seule qui m'intéresse,c'est maman.Si elle ne veut pas de tante Connie,elle ne la verra pas,point barre.
Soudain elle comprit qu'elles avançaient à toute vitesse,en sautant des pages entières de leur histoire comme elles sautaient des mots et des phrases en communiquant dans leur langage personnel.
D’une façon ou d’une autre, la surdité de Jeanette semblait régenter leur existence à tous.