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Critique de ODP31


Les héros des romans de Jim Thompson n'en sont pas. Ils en ont parfois l'ambition mais ils présentent trop de carences en scrupules pour endosser l'armure du chevalier blanc. Ses personnages ont plutôt la cuirasse rouillée, la lance syphilitique et pointent au registre des désaxés irrécupérables. Même recyclés, ils ne vaudraient pas grand-chose en compost. le sheriff Nick Corey fait partie des légendes littéraires de cette corporation peu glorieuse.
Pottsville, est un bled paumé où vivote 1280 habitants. L'ordre est censé être assuré par ce sheriff à la mauvaise étoile, Nick Corey, carpette cocufiée par sa femme sous son toit, mis en boîte par les maquereaux du coin et toujours prompt à détourner ses pas au moindre danger. Comme la meilleure façon de ne pas voir la vérité en face, c'est de garder les yeux fermés, Corey fait des siestes qui ressemblent à des hibernations.
Sa prison prend la poussière, le crime se la coule douce et Corey consacre ses quelques volts à deux activités : dormir et fricoter avec les beautés locales. C'est le lapin de Duracell mais il ne peut pas être partout. Sa devise : ne pas se mêler des affaires des autres pour que leurs affaires ne deviennent pas les siennes. On ne mélange pas son linge sale. Trop fatiguant. Sa formule, plus politique que magique et répétée à l'envie: " Je ne dirais pas que vous avez tort, mais je ne ne suis pas sûr non plus que vous ayez raison." Un vrai centriste.
Méprisé par tout le village, sa réélection à son poste de sheriff n'est pas gagnée, même en accusant son adversaire de vouloir truquer le scrutin, et Nick Corey se met alors à éliminer tous ceux qui l'ont humilié ou qui contrarient ses projets. Cela fait du monde dans le viseur mais la vengeance est un produit dopant qui vaut l'injection d'EPO à l'insu de son plein gré. le lâche devient fourbe et fait en sorte que d'autres soient accusés de ses crimes, pratique facilitée lorsqu'on est le seul représentant du désordre dans un patelin. Immunité diplomatique du trou perdu.
N'étant jamais mieux servi que par soi-même, Nick Corey s'octroie aussi la narration du roman sans états d'âme, heureux de jouer le rôle de Dieu. Ode au narcissisme et dialogues qui ressemblent à des saillies d'Oscar Wilde...en moins poli.
La description du bonhomme n'est pas très sympathique mais je vous assure que ce roman, le chef d'oeuvre de son auteur, par ailleurs scénariste pour Kubrick, groom d'hôtel, employé dans une morgue, foreur de puits de pétrole, caddie dans un club de golf, buveur et tuberculeux à ses heures, mérite un petit détour par Pottsville.
D'ailleurs, Bertrand Tavernier en a tiré le scénario de son « Coup de Torchon », détournant l'action dans l'Afrique coloniale avec Philippe Noiret, Isabelle Huppert et Stéphane Audran.
Dans son indispensable dico des littératures policières, saint Mesplède auréole ce roman aussi amoral que férocement drôle.
Jim Thompson, qui n'avait rien d'un ange, mourut dans l'indifférence des sans grade dégradés et sa reconnaissance fut posthume. Il a trouvé sa place au panthéon des soiffards, broyeurs de romans noirs.
De la mauvaise graine réjouissante en ces temps aseptisés à la morale.
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