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Critique de lousalinger


Il aurait pu se contenter d'écrire des polars sur commandes, distribuer à la chaîne des histoires de détectives et de meurtres pour un salaire de misère, ce qu'il a d'ailleurs fait à ses débuts en parallèle de son travail de reporter au Los Angeles Mirror. Mais Jim Thompson avait trop observé le genre humain pour concentrer ses découvertes dans les colonnes de la rubrique faits divers. de là découle directement ce style incomparable avec ses pairs. Dans les faits, l'écrivain engendre à lui-seul une révolution stylistique en changeant la nature de son narrateur.

Fonctionnaires de police déphasés & magouilleurs désoeuvrés n'étaient pas des nouveautés dans le genre. Sauf que chez Thompson, on pousse un cran plus loin en donnant une voix à de vrais sociopathes et marginaux aux abords de la folie. Pas par goût de la dépravation ou du scandale mais pour arracher son lecteur au confort et l'envoyer sonder les tréfonds de l'âme humaine. Ce qui n'empêche pas d'y prendre un sacré pied. le très cynique Pop. 1280 est un carnage jubilatoire où tout le monde en prend pour son grade. L'assassin qui est en moi fait l'effet d'un authentique électrochoc, un aller-simple pour l'enfer en compagnie d'un tueur en série infiltré parmi les représentants de l'ordre. Il y aura d'autres exemples - très bons mais pas aussi marquants - tels Une femme d'enfer ou Nuit de fureur. Jusqu'à ce qu'en 1972, Thompson publie son dernier coup d'éclat, Rage Noire. Conscient (?) d'arriver en bout de course (il décédera cinq ans plus tard), l'auteur se lâche comme rarement...

Ce n'est pas la première fois que la question du racisme et des discriminations se frayent un chemin à travers ses oeuvres, il s'agit par contre du premier raconteur afro-américain dans la mythologie Thompsonnienne. Chamboulement s'il en est un, Allen Smith demeure un cas perturbant comme les affectionne son créateur. Imprévisible, insolent, manipulateur, cynique (et là, je schématise), cet étrange personnage dirigé par ses pulsions (auto)destructrices est un abrégé des misanthropes vicieux ayant noircis les meilleures pages du romancier. D'aucuns objecteraient que sous la plume d'un autre, la lecture serait désagréable ou difficile. Pas le moins du monde ici. La prose est lapidaire (210 pages) mais foisonnante, gorgée de sarcasmes, de séquences répugnantes, de ruptures de point de vue ou de monologues enragés.

Le choc est sévère mais pas gratuit. Les chapitres s'enchainent, les éléments de réponse s'égrènent et nous amènent inexorablement à la compréhension. Allen est un révélateur à multiple personnalité, à la fois victime, complice et bourreau d'outrages inscrit dans le temps. On se prend tout en pleine face. Et alors se dessine le portrait sans fard d'un esprit en pleine montée délirante, associant son destin à celui d'un Christ venu apporter la révélation aux malheureux tartuffes impies, faux-jetons, misogynes et racistes. La lumière au bout du tunnel ? La partie finale à beau le sous-entendre, il est difficile d'imaginer Thompson laisser Allen (et son lecteur) s'en tirer à si bon compte. Mais le surréalisme de cette délivrance fournit le doute indispensable à toute descente aux enfers : en est-on sortis ? D'ailleurs peut-on s'en sortir ? Une interrogation qui aurait fait une belle épitaphe sur la tombe de Jim Thompson.
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