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Critique de Apophis


Le Trône de Fer rencontre Steven Erikson, Iron Man, Lovecraft et Matrix

J'ai reçu ce livre dans le cadre de l'opération Masse Critique. Je remercie les responsables du site, ainsi que les éditions Nestiveqnen.

Sébastien Thréhout est un auteur niçois passionné de Jeu de rôle (d'ailleurs, avant de publier des romans, la maison d'édition Nestiveqnen a fait ses premières armes dans ce domaine), ayant un style qui le rapproche de la Dark Fantasy tout en explorant des thématiques qui relèvent plus de la Fantasy épique. C'est aussi quelqu'un doté d'un solide sens de l'humour, comme on peut s'en apercevoir en lisant son interview sur le site de l'éditeur (un aspect qui, d'ailleurs, ne transparaît que très peu dans son livre).

Ce roman est le premier d'une trilogie, La Table des immortels. J'avoue avoir été très intrigué à son sujet lorsque j'ai lu une critique le présentant comme une oeuvre inspirée par Zelazny, avec une influence Tolkienienne et une touche de G.R.R. Martin. Pour un premier roman, voilà qui se révèle être une synthèse plus qu'ambitieuse… mais est-elle réussie ? La réponse est oui, mais en fait la question n'est pas tout à fait la bonne : il s'agit en réalité d'une synthèse entre le Trône de Fer, le Livre Malazéen des Glorieux Défunts de Steven Erikson, les récits oniriques de Lovecraft, Iron Man et Matrix !

- Univers et influences

L'influence principale, est (et de loin) le Trône de Fer : le personnage de Baldir (personne de petite taille mais au visage avenant et aux talents de séducteur confirmés) rappelle beaucoup Tyrion (mais en version apprenti-sorcier), la structure politique (différents royaumes qui ont fusionné suite à une guerre pour en former un seul), les intrigues de cour omniprésentes et surtout le Mur long de centaines de kilomètres (protégeant les terres humaines de créatures bien décidées à leur faire la peau et situées à l'extrême-nord du continent) sont autant d'emprunts à l'oeuvre de G.R.R Martin.

Mais cet aspect est mêlé à une présence de la magie et à une forte implication des Immortels dans les affaires humaines (y compris par le biais de la possession) qui évoquent beaucoup plus nettement l'oeuvre de Steven Erikson. Il y a bien une (vague) influence Tolkienienne dans la cosmogonie, mais bon les parallèles avec le Seigneur des Anneaux restent anecdotiques (dans ce premier tome, du moins) par rapport à d'autres sources d'inspiration.

L'auteur a également été marqué par l'influence de Lovecraft, spécifiquement sur l'aspect onirique de l'oeuvre du Maître de Providence : la ville de Meleter, fief de l'Immortel Sakrajka (lui-même assez « Grand Ancien »), possède deux aspects, un « réel », dans le monde tangible, et un autre, dans le monde des rêves, qui rappelle Céléphaïs ou Kadath. Sébastien Thréhout a même mêlé à tout ça un aspect Matrix : les habitants humains de la ville vivent dans un songe permanent, mais l'un d'eux, pour accomplir les desseins de l'Immortel, va subir le célèbre « welcome to the real world ».

Enfin, l'influence la plus étonnante est celle… d'Iron Man ! Il existe un ordre dit Sadourak (du nom du fondateur), qui s'est voué à traquer les tentatives d'incarnation de l'Immortel Oboss sur le monde d'Ern (parce que à chaque fois, ça finit un peu en catastrophe sur les bords pour les humains, hein). Au passage, c'est lui qui a banni tous les sorciers dans un état insulaire, loin du Royaume des Mille Couronnes (une très belle idée, ce concept, d'ailleurs). La particularité des chevaliers Sadouraks (une grosse douzaine) est que leur corps humain fusionne définitivement avec une armure sacrée en fer-prié. Alimentée par l'énergie du Vide puisée par les Mystiques de l'Ordre (qui ont un fort parfum de Chroniques de la Lune Noire, je trouve), l'armure libère le Chevalier de la faim, du besoin de dormir, lui donne une force, une résistance et une endurance inhumaines, des facultés de régénération prodigieuses, ainsi que la faculté de lancer de terribles éclairs d'énergie (à partir des yeux et de la bouche). Bref, des Iron Man de fantasy.

- Ce que je pense de ce mélange

Je suis toujours assez partagé par le mélange d'influences prestigieuses : d'un côté, le manque d'originalité me plaît moins qu'une oeuvre entièrement sortie de l'imagination de son auteur, mais d'un autre, à la condition impérative que le mélange soit habilement fait, il peut déboucher sur un résultat d'une part plaisant, et d'autre part qui se révèle original (il est tout à fait possible de l'être en assemblant entre eux des éléments individuels qui, eux, ne le sont pas). Nous sommes ici dans le second cas : même si l'influence du Trône de Fer est extrêmement lourde, le monde d'Ern reste 1/ cohérent et 2/ plaisant. Et c'est tout ce qui compte.

Deux points viennent en effet contrebalancer ce gros manque d'originalité : la qualité de l'écriture, et la solidité de la cosmogonie.

- Ecriture

Globalement, l'écriture est très bonne : l'auteur a un style fluide, agréable (riche sans en faire des tonnes), très évocateur et souvent vraiment prenant. Les dialogues sont rondement menés, le côté « merveilleux sombre » fort bien rendu. Les personnages sont intéressants, les points de vue multiples (chaque chapitre adopte le point de vue de l'un d'entre eux, une grosse demi-douzaine au total). Il est d'ailleurs plaisant de voir certains personnages par les yeux des autres, et inversement. Au passage, ne vous attachez pas trop, influence de G.R.R Martin oblige, la mortalité (des personnages secondaires) est relativement élevée. On est globalement sur un style Dark Fantasy (sans réel côté gritty) mais avec des thématiques plus marquées Fantasy épique, un peu comme chez Steven Erikson (mais l'aspect militaire en moins). Il est d'ailleurs plaisant de voir un auteur français faire moins dans le merveilleux féerico-arthurien qui impacte une bonne moitié de la Fantasy française et plus dans l'épique sombre à l'anglo-saxonne.

Certaines scènes sont assez prodigieuses : celle du choix du bouffon du Roi, par exemple, restera longtemps dans ma mémoire.

Je n'ai que deux bémols sur l'écriture : les dialogues où l'auteur fait parler certains personnages du bas-peuple des campagnes ou des villes en mode « Crévindiou ! » (passages à la limite du ridicule parfois et procédé stylistique inutile), et le déballage d'informations, un peu trop souvent artificiel et / ou maladroit.

- Cosmogonie, bestiaire et magie

L'auteur a bâti un panthéon très solide et très évocateur, au moins autant que celui de Steven Erikson (et au moins, il nous évite des noms aussi ridicules que Cagoule ou Cotillon…). C'est un des points forts de l'univers, à la fois par son côté à grand spectacle, très prenant, et son parfum mystique très agréable. Dieu suprême, dieux inférieurs (les Immortels), hybrides d'humains, de bêtes et de fragments ou de serviteurs d'Immortels, enfants de ces derniers, les créatures d'essence supérieure ne manquent pas.

La magie, ou plutôt les magies (du sang, des poudres, de l'anneau d'or, d'invocation de démons, etc), sont variées, plutôt originales (dans une veine très Sanderson / Weeks, je trouve) et intéressantes. Là aussi, une belle réussite. Au final, sur l'aspect global « puissances surnaturelles », on a un vague mais plaisant parfum de Mathieu Gaborit qui plane sur l'ensemble, pas dans la lettre mais plutôt dans l'esprit. Enfin du moins, ça a été mon ressenti.

Le bestiaire alterne merveilleux et horrifique, et là aussi, il est réussi. Il n'y a pas d'elfes (il y a surtout des hommes-loups et des hommes-ours, en fait, en guise de créatures sylvestres, avec une origine très originale et très bien décrite), mais on nous parle d'un Troll et de nains (ces derniers semblant être de nature élémentaire, liée à la pierre et au magma).

- Intrigue

L'intrigue est solide, cohérente et intéressante. Les destinées de certains personnages vont s'entrecroiser, les vies de la plupart changer de façon radicale, et on prend plaisir à les suivre. Il y a bien quelques cliffhangers à la fin de ce tome 1, mais rien d'excessif ou de maladroit. Il reste suffisamment de points d'intrigue ou de personnages mystérieux (Tantrelou) pour donner sans problème envie de lire le tome suivant (et puis on a hâte de voir Sanne entrer en action).

- Présentation

J'ai été frappé par la qualité de la présentation de l'ouvrage : belle illustration de couverture, belle composition, superbe carte, beau papier, belle impression, et marque page fourni avec le livre. Franchement, pour un éditeur qui reste loin du niveau de notoriété des poids lourds du marché, on est sur une présentation qui n'a rien à envier à un ouvrage de l'Atalante ou du Bélial (et oui, c'est un gros compliment de ma part). Seul manque (mais de taille) : le dramatis personæ, qui s'imposait vu le nombre de personnages.

- En conclusion

Sans vouloir vexer personne, pour un petit roman d'un auteur débutant sorti chez un éditeur qui n'est pas (encore ?) un des leaders du marché, je trouve qu'on a affaire ici à un ouvrage intéressant et solide, à défaut d'être original. Certes, il faudra passer outre la très lourde influence du Trône de Fer, mais les qualités d'écriture de l'auteur (bien qu'il y ait encore quelques scories à ce niveau) font passer bien des pilules. Voilà un beau mélange, évocateur et prenant, entre de nombreuses influences prestigieuses assemblées en un tout totalement cohérent. Je suis aussi ravi de voir un auteur français donner dans l'épique sombre, ça change d'une partie significative de la Fantasy française qui n'arrive pas à sortir du merveilleux (qui a ses charmes, y compris à mes yeux, ce n'est pas la question).

C'est avec plaisir que j'ai inséré les tomes suivants dans mon programme de lecture.
Lien : https://lecultedapophis.word..
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