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Critique de pompimpon


Elles sont mennonites, vivant en autarcie dans la colonie de Molotschna, en Bolivie. Illettrées, elles doivent suivre les préceptes de la Bible tels qu'ils leur sont transmis par leur évêque, Peters, et appliqués par les hommes de la communauté.
Elles ne parlent que le bas-allemand, ne connaissent rien du pays où elles vivent, ignorent tout de ce qui borde les différentes communautés mennonites, n'ont que très peu de contacts avec l'extérieur.

Elles ont presque toutes été victimes de viols répétés, de nuit, après avoir été droguées.
Peu importe leur âge, peu importe leur situation.
D'abord chacune se tait, croit qu'il s'agit d'un cauchemar, d'une punition divine, l'oeuvre de Satan ou de fantômes… Mais de toutes petites filles sont également victimes. Alors, les femmes commencent à parler de leurs nuits en enfer et se rendent compte que le cauchemar est le même pour toutes. Qui plus est, il dure depuis plusieurs années.

L'évêque Peters accuse le diable, qui a bon dos.

Mais ce n'est pas le diable, ce sont des hommes de la communauté qui violent les femmes, les jeunes filles, et les fillettes, la nuit, une communauté où beaucoup sont apparentés, cousins, soeurs, pères, nièces, fils, cousines, frères, mères, neveux, filles…

Les hommes partis en ville, elles ont deux jours pour décider de ce qu'elles vont faire : rester et ne rien faire, rester et lutter, partir.
C'est ce que les femmes ont voté entre elles, loin du regard des hommes, loin de celui de l'évêque Peters qui compte leur demander de pardonner à leurs agresseurs ou de devoir quitter la colonie.

Certaines femmes veulent rester et ne rien faire.
Les deux autres choix ont obtenu le même nombre de voix, c'est pourquoi huit femmes se réunissent au nom des autres pour trancher entre rester et lutter ou partir.
August Epp, l'instituteur de la colonie qui de ce fait n'est pas perçu comme une menace par les femmes, prendra en notes les débats parce qu'elles veulent en garder une trace, même analphabètes.

Le 6 juin 2009, les femmes Loewen, Greta, Mariche, Mejal et Autje, et les femmes Friesen, Agata, Ona, Salomé et Neitje retrouvent Auguste Epp dans le fenil d'Erneast Thissen. le 7 au soir, elles devront être parvenues à un accord à présenter aux autres femmes qui refusent de se résigner.

August Epp raconte ce qu'il entend, Ce qu'elles disent.

Comment rester en accord avec ce qui est écrit dans la Bible ? Savent-elles réellement ce qui y est écrit ? Apprendront-elles à lire et écrire pour le savoir ? Comment continuer à croire, à respecter leur foi ? Comment protéger leurs enfants ? Demanderont-elles une place égale à celles des hommes ? Peuvent-elles le faire ? le feront-elles ?
Quid des hommes qui n'ont pas participé ? Des garçons de moins de quinze ans ?

Ces questions peuvent-elles se résoudre en restant et en luttant ? Ou bien en partant sans même attendre le retour des hommes, marquant par là-même qu'il s'agit de leur choix à ELLES et non d'une décision de l'évêque Peters ?

Toutes les questions sont cruciales. Toutes les réponses sont importantes. Toute décision prise est essentielle.
Tout compte, chaque mot, chaque silence.

Dans ce monde qui considère les femmes à peine au-dessus des animaux, et encore !, elles apprennent à inventer ensemble un mode de vie qui leur soit personnel, un équilibre, loin au sens propre ou au sens figuré des violences subies.

La narration est simple, August Epp prend ses notes à la volée, les mots sont ceux qu'elles disent comme elles les disent.
Et s'il commence par parler de lui, c'est pour expliquer cette place particulière qu'il a au sein de la communauté, qui lui permet d'assister à ces réunions.

C'est un roman bouleversant. On est assis dans le fenil d'Erneast Thissen avec ces huit femmes. Comme August, on les voit au fil des pages, elles qui se connaissent depuis toujours, de la plus jeune à la plus âgée, devoir dépasser leurs différents, leurs agacements, leurs colères rentrées, leurs jugements sur les manies des autres, pour faire émerger leur vérité : elles sont femmes, elles sont victimes et refusent de continuer à l'être, elles veulent prendre leur vie en main ou plutôt l'arracher des mains des hommes de la colonie, elles veulent penser par elles-mêmes.
Et ce chemin qui part d'une obéissance aveugle aux hommes de la communauté "parce que c'est écrit dans la Bible" à la remise en cause de ce que ces mêmes hommes leur transmettent de ladite Bible, d'une existence toute dévolue aux règles et aux autres à une volonté d'édicter leurs règles elles-mêmes, c'est un tremblement de terre pour chacune.

Mais c'est surtout une renaissance.

Toutes vont prendre conscience de leurs possibilités, de leurs forces, l'une après l'autre, au détour d'une phrase. Comme une intelligence commune qui s'éveille, pour le meilleur, avec effort, forçant le respect.

"Nous voulons que nos enfants soient en sécurité.
Nous voulons rester fidèles à notre foi.
Nous voulons pouvoir penser."

Nous voulons pouvoir penser.

Inspiré de faits réels dont Miriam Toews signale qu'ils se sont reproduits ensuite dans la même communauté mennonite en Bolivie après l'incarcération des premiers violeurs, ce roman rend hommage à ces femmes qui méconnaissent leurs ressources jusqu'au moment de les rassembler pour s'extraire du joug imposé par des hommes méritant à peine ce nom, tant ils sont brutaux, arrogants, méprisants, sûrs de leur supériorité supposée sur ces êtres nés, pensent-ils, avec pour seule fonction de leur obéir aveuglément.

Les victimes réelles avaient 65 ans pour la plus âgée, 3 ans pour la plus jeune. Cent-trente cas ont été répertoriés, dans une communauté où le silence est la règle…
Par la force de son écriture, Miriam Toews leur a donné une voix.

Merci à elle, aux éditions Buchet-Chastel et à NetGalley de m'avoir permis la découverte de cet ouvrage.
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