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EAN : 9782283032725
Buchet-Chastel (22/08/2019)
3.31/5   173 notes
Résumé :
Entre 2005 et 2009, dans une communauté mennonite isolée de la Bolivie, appelée la colonie du Manitoba, du nom de la province du Canada, de nombreuses filles et femmes, le matin venu, éprouvaient de la difficulté à émerger du sommeil. On les avait agressées durant la nuit, et leur corps meurtri saignait. Il s’est avéré que huit hommes de la colonie s’étaient servis d’un anesthésiant vétérinaire pour plonger leurs victimes dans l’inconscience et les violer. Ce qu’ell... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (70) Voir plus Ajouter une critique
3,31

sur 173 notes
Ce roman est inspiré d'un fait divers odieux et dramatique qui s'est déroulé dans une communauté mennonite* implantée en Bolivie. Entre 2005 et 2009, dans la colonie de Manitoba, de multiples viols et agressions sexuelles ont été commis, pendant la nuit, sur de femmes mennonites de 3 à 65 ans. Ces actes monstrueux ont d'abord été mis sur le compte de l'imagination des femmes, d'agressions par des fantômes ou des démons, avant qu'on ne découvre qu'ils avaient été perpétrés par huit hommes de la colonie, qui utilisaient un spray à la belladone pour anesthésier au préalable leurs victimes. Ces hommes ont par la suite été condamnés et emprisonnés.
Le récit (romancé) prend pour point de départ l'idée que les coupables sont en voie d'être libérés sous caution et de revenir à la colonie. Huit des femmes victimes d'agressions se réunissent alors à la hâte en une sorte de conseil pour décider de ce qu'elles vont faire face à ce retour annoncé. Trois possibilités : ne rien faire ; partir vers l'inconnu ; rester pour affronter leurs agresseurs. Leurs discussions sont retranscrites par August, le jeune instituteur de la colonie. Houleux, orageux, ces débats sont difficiles et les enjeux et implications de chaque option sont fondamentaux, dans un contexte où les femmes sont analphabètes et ne connaissent strictement rien du monde extérieur, et où elles sont depuis toujours enfermées dans le carcan du patriarcat et de la religion, au point que c'est une révolution pour elles d'imaginer une société où "les femmes seront autorisées à penser", où "les filles apprendront à lire et écrire". Tout aussi hallucinant d'observer que, dans la mentalité de ces hommes, les femmes sont, quoi qu'il arrive, coupables de quelque chose, alors qu'en toute objectivité, elles sont les victimes pures et simples de ces monstres : "si, en effet, les agresseurs n'avaient pas été conduits en ville et que les autres hommes ne les y avaient pas suivis pour payer leur caution et obtenir qu'ils reviennent dans la colonie, où ils seront en mesure de recevoir le pardon de leurs victimes et obtenir qu'elles soient pardonnées à leur tour par Dieu, ces femmes ne se seraient pas réunies". Certaines se révoltent : "Nous n'avons pas à obtenir le pardon des hommes de Dieu, crie-t-elle, quand nous ne cherchons qu'à protéger nos enfants contre la dépravation d'hommes brutaux qui, souvent, sont ceux-là mêmes à qui nous devons demander d'être pardonnées. Si Dieu est un Dieu aimant, Il nous pardonnera Lui-même. Si Dieu est un Dieu vengeur, Il nous a créées à Son image. Si Dieu est tout-puissant, pourquoi n'a-t-Il pas protégé les filles et les femmes de Molotschna ?"
A côté de la mise en lumière de ces événements et de la condition (révoltante) de ces femmes, le récit pose beaucoup de questions philosophico-religieuses intéressantes sur le pardon, la vengeance, la foi. Il interroge aussi la vie quasi-autarcique des mennonites : "A Molotschna, la chance n'existe pas. Il est péché d'y croire. Il est honteux de pleurer. Comme tout est voulu par Dieu, rien, dans Sa création, n'est laissé au hasard. Si Dieu a créé le monde, pourquoi ne voulons-nous pas y vivre ?"
Un livre très riche, mais dont la lecture est parfois pénible : la retranscription des discussions des femmes, telle qu'elle se déroule à l'oral avec des arguments qui fusent en tous sens, donne par moment une impression de décousu, voire de cacophonie. Quant aux digressions larmoyantes d'August, elles contrastent certes avec la combativité des femmes, mais je n'en ai pas vu l'intérêt pour l'histoire. Au final, "Ce qu'elles disent" est un récit un peu froid et répétitif, original et intéressant, qui rappelle que la religion a souvent bien peu d'égards envers les femmes.
En partenariat avec les Editions Buchet-Chastel via Netgalley.

*Le mennonisme est un mouvement chrétien anabaptiste (càd en faveur du baptême des enfants une fois atteint l'âge de raison, et non dès la naissance), issu de la Réforme protestante. Les mennonites sont fondamentalement pacifistes et, en dans les colonies boliviennes à tout le moins, rejettent toute modernité, vivent essentiellement de l'agriculture et n'ont de contacts avec le "monde extérieur" que pour l'achat de matières premières et la vente de leurs récoltes (Wikipédia).

#CeQuellesDisent #NetGalleyFrance

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Vivant dans les préceptes de l'Ancien Testament, dans la crainte de Dieu et du Diable, les Mennonites espèrent le paradis et redoutent l'enfer. En communauté loin du monde moderne, ils parlent le bas-allemand, une langue qu'eux seuls comprennent.

Le quotidien est géré par les hommes qui travaillent dur aux champs, les femmes toutes illettrées s'occupent de la maison sans aucun contact avec l'extérieur. Les enfants vont à l'école jusqu'à douze ans où ils étudient des textes religieux. Une société bloquée au XIXème siècle, loin des vices et de la corruption du monde moderne ?

Pourtant dans cette communauté mennonite Bolivienne, entre 2005 et 2009, de nombreuses femmes âgées de trois (oui vous avez bien lu) à soixante-cinq ans ont été victimes de viols à répétitions pendant leur sommeil. Des hommes, après les avoir droguées avec un anesthésiant pour chevaux, les battaient et les violaient durant la nuit. Au matin les victimes se réveillaient le corps en sang et couvertes de bleus, sans aucun souvenir.

Pour les mennonites, les femmes sont une sorte de chainon manquant entre l'homme et l'animal, soit les victimes mentent pour masquer leurs turpitudes, soit elles sont victimes des attaques de Satan qui les puni de leurs pêchés. Lorsque les bourreaux seront reconnus par une femme qui se réveille en plein viol, une question se pose alors, les mennonites peuvent-ils reconnaitre la justice des hommes ?


« Salomé poursuit : Et quand nos hommes nous ont usées jusqu'à la corde, quand ils ont fait de nous des femmes qui, à trente ans, ont l'air d'en avoir soixante, des femmes avec un utérus qui, littéralement, menace de tomber sur le sol immaculé de notre cuisine, des femmes finies, ils se tournent vers nos filles. Et s'ils pouvaient nous vendre à l'encan ils le feraient sans hésiter. »

Elles sont huit femmes, dans un fenil, cachées du regard des hommes, elles ont quarante-huit heures pour décider de leur avenir. Se venger est un passeport pour l'enfer, pardonner serait un accès direct pour le paradis.

« Ceux qu'elles disent » est un livre rare, un précipité philosophique sur des vies contrôlées par la peur. Une conversation profonde sur la culpabilité, la résilience et le possible pardon. Que peut l'innocence face à la barbarie ordinaire et institutionnelle ?

Miriam Toews, qui connait parfaitement ces femmes, leur donnent la parole pour la première fois de leur vie dans un roman bouleversant. Une lecture qui marque.


Lien : http://www.baz-art.org/archi..
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Elles sont mennonites, vivant en autarcie dans la colonie de Molotschna, en Bolivie. Illettrées, elles doivent suivre les préceptes de la Bible tels qu'ils leur sont transmis par leur évêque, Peters, et appliqués par les hommes de la communauté.
Elles ne parlent que le bas-allemand, ne connaissent rien du pays où elles vivent, ignorent tout de ce qui borde les différentes communautés mennonites, n'ont que très peu de contacts avec l'extérieur.

Elles ont presque toutes été victimes de viols répétés, de nuit, après avoir été droguées.
Peu importe leur âge, peu importe leur situation.
D'abord chacune se tait, croit qu'il s'agit d'un cauchemar, d'une punition divine, l'oeuvre de Satan ou de fantômes… Mais de toutes petites filles sont également victimes. Alors, les femmes commencent à parler de leurs nuits en enfer et se rendent compte que le cauchemar est le même pour toutes. Qui plus est, il dure depuis plusieurs années.

L'évêque Peters accuse le diable, qui a bon dos.

Mais ce n'est pas le diable, ce sont des hommes de la communauté qui violent les femmes, les jeunes filles, et les fillettes, la nuit, une communauté où beaucoup sont apparentés, cousins, soeurs, pères, nièces, fils, cousines, frères, mères, neveux, filles…

Les hommes partis en ville, elles ont deux jours pour décider de ce qu'elles vont faire : rester et ne rien faire, rester et lutter, partir.
C'est ce que les femmes ont voté entre elles, loin du regard des hommes, loin de celui de l'évêque Peters qui compte leur demander de pardonner à leurs agresseurs ou de devoir quitter la colonie.

Certaines femmes veulent rester et ne rien faire.
Les deux autres choix ont obtenu le même nombre de voix, c'est pourquoi huit femmes se réunissent au nom des autres pour trancher entre rester et lutter ou partir.
August Epp, l'instituteur de la colonie qui de ce fait n'est pas perçu comme une menace par les femmes, prendra en notes les débats parce qu'elles veulent en garder une trace, même analphabètes.

Le 6 juin 2009, les femmes Loewen, Greta, Mariche, Mejal et Autje, et les femmes Friesen, Agata, Ona, Salomé et Neitje retrouvent Auguste Epp dans le fenil d'Erneast Thissen. le 7 au soir, elles devront être parvenues à un accord à présenter aux autres femmes qui refusent de se résigner.

August Epp raconte ce qu'il entend, Ce qu'elles disent.

Comment rester en accord avec ce qui est écrit dans la Bible ? Savent-elles réellement ce qui y est écrit ? Apprendront-elles à lire et écrire pour le savoir ? Comment continuer à croire, à respecter leur foi ? Comment protéger leurs enfants ? Demanderont-elles une place égale à celles des hommes ? Peuvent-elles le faire ? le feront-elles ?
Quid des hommes qui n'ont pas participé ? Des garçons de moins de quinze ans ?

Ces questions peuvent-elles se résoudre en restant et en luttant ? Ou bien en partant sans même attendre le retour des hommes, marquant par là-même qu'il s'agit de leur choix à ELLES et non d'une décision de l'évêque Peters ?

Toutes les questions sont cruciales. Toutes les réponses sont importantes. Toute décision prise est essentielle.
Tout compte, chaque mot, chaque silence.

Dans ce monde qui considère les femmes à peine au-dessus des animaux, et encore !, elles apprennent à inventer ensemble un mode de vie qui leur soit personnel, un équilibre, loin au sens propre ou au sens figuré des violences subies.

La narration est simple, August Epp prend ses notes à la volée, les mots sont ceux qu'elles disent comme elles les disent.
Et s'il commence par parler de lui, c'est pour expliquer cette place particulière qu'il a au sein de la communauté, qui lui permet d'assister à ces réunions.

C'est un roman bouleversant. On est assis dans le fenil d'Erneast Thissen avec ces huit femmes. Comme August, on les voit au fil des pages, elles qui se connaissent depuis toujours, de la plus jeune à la plus âgée, devoir dépasser leurs différents, leurs agacements, leurs colères rentrées, leurs jugements sur les manies des autres, pour faire émerger leur vérité : elles sont femmes, elles sont victimes et refusent de continuer à l'être, elles veulent prendre leur vie en main ou plutôt l'arracher des mains des hommes de la colonie, elles veulent penser par elles-mêmes.
Et ce chemin qui part d'une obéissance aveugle aux hommes de la communauté "parce que c'est écrit dans la Bible" à la remise en cause de ce que ces mêmes hommes leur transmettent de ladite Bible, d'une existence toute dévolue aux règles et aux autres à une volonté d'édicter leurs règles elles-mêmes, c'est un tremblement de terre pour chacune.

Mais c'est surtout une renaissance.

Toutes vont prendre conscience de leurs possibilités, de leurs forces, l'une après l'autre, au détour d'une phrase. Comme une intelligence commune qui s'éveille, pour le meilleur, avec effort, forçant le respect.

"Nous voulons que nos enfants soient en sécurité.
Nous voulons rester fidèles à notre foi.
Nous voulons pouvoir penser."

Nous voulons pouvoir penser.

Inspiré de faits réels dont Miriam Toews signale qu'ils se sont reproduits ensuite dans la même communauté mennonite en Bolivie après l'incarcération des premiers violeurs, ce roman rend hommage à ces femmes qui méconnaissent leurs ressources jusqu'au moment de les rassembler pour s'extraire du joug imposé par des hommes méritant à peine ce nom, tant ils sont brutaux, arrogants, méprisants, sûrs de leur supériorité supposée sur ces êtres nés, pensent-ils, avec pour seule fonction de leur obéir aveuglément.

Les victimes réelles avaient 65 ans pour la plus âgée, 3 ans pour la plus jeune. Cent-trente cas ont été répertoriés, dans une communauté où le silence est la règle…
Par la force de son écriture, Miriam Toews leur a donné une voix.

Merci à elle, aux éditions Buchet-Chastel et à NetGalley de m'avoir permis la découverte de cet ouvrage.
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Romancière multi-primée, la canadienne Miriam Toews revient aux éditions Buchet Chastel avec une oeuvre très particulière qui mêle fiction et fait divers sur fond de féminisme et de communauté religieuse.
Après Jamais je ne t'oublierai et Pauvres Petits Chagrins, Miriam Toews nous emmène dans une communauté mennonite de Bolivie du nom de Molotschna où le Diable (ou Dieu, selon les sources) vient punir les filles et femmes du village durant la nuit pour leurs péchés inavoués.
Inspiré des véritables événements qui se sont déroulé à la colonie de Manitoba entre 2005 et 2009, Ce qu'elle disent imagine la réaction de ces femmes lorsqu'elles apprennent la vérité : ce sont en réalité huit hommes de la communauté qui ont violé durant des années des femmes et des fillettes en les anesthésiant grâce à des barbituriques destinés aux animaux.
Écrit en réaction à ce fait divers atroce, le roman de Miriam Toews centre son action sur deux jours de conciliabules rédigés sous forme de procès-verbal par August Epp, un homme récemment retourné à la colonie après son exil des années durant suite à la mort de ses parents.

Mennonites aujourd'hui
Avant de commencer à vous parler de Ce qu'elles disent, expliquons d'abord que l'action prend place dans une communauté mennonite, l'un des courants anabaptistes issus du schisme d'avec le catholicisme datant de 1536. Souvent confondus avec les amish, les mennonites refusent le baptême des enfants (y préférant le baptême des croyants en âge de décider), l'usage des armes et donc toute participation à des actes violents et pour certains l'usage de technologie et des progrès techniques en général (comme c'est le cas de la colonie de Molotschna présentée dans le roman).
Du fait, les femmes de Molotschna n'ont pas le droit d'écrire ou de lire et doivent une obéissance totale à leur mari, celui-ci représentant l'autorité de Dieu sur Terre. Ceci permet de comprendre l'astuce narrative employée par Miriam Toews, à savoir la rédaction par August Epp d'un procès verbal pour restituer la parole de ces femmes analphabètes et écrasées par une autorité patriarcale absolue.
Cela permet aussi autre chose à l'autrice canadienne, à savoir apporter un regard extérieur d'une figure masculine (mais non virile selon le standard de Molotschna, August possédant une sensibilité et des compétences qui le rapprochent plus dans l'esprit des participantes de l'assemblée à une personnalité féminine) et qui a connu le monde moderne extérieur (et donc l'énorme gouffre qui sépare ces deux univers).
Une fois ces faits établis, intéressons-nous maintenant au récit en lui-même.

Interrogations féminines
Ce qu'elles disent se scinde donc en deux parties principales (sans considérer quelques interludes) où August Epp, notre narrateur rapporte le déroulé des deux journées de discussions de huit femmes (par opposition aux huit hommes coupables de sévices et emmenés au poste de police). Dans ce récit, les hommes prennent une place théorique, et non physique, si l'on excepte quelques interventions d'August Epp soit par quelques questions/réflexions (sollicitées ou impulsives) auprès des femmes, soit par le biais de préoccupations personnelles adressées au lecteur lui-même.
Ce qu'elles disent est un roman de femmes qui parlent de la condition féminine…mais aussi de religion et de foi.
De façon fort surprenante, et malgré les faits atroces qui ont réuni ces femmes, les viols et autres sévices ne seront que rarement rapportés. Quand ils le sont, Miriam Toews n'épargne rien au lecteur et tranche dans le vif pour mieux se concentrer sur le but premier de son récit : rendre la parole (et donc le pouvoir) à des femmes qui ont été dépouillées de tous leurs droits.
Ainsi, Ce qu'elles disent posent des questions qui, dans un premier temps, peuvent sembler absurdes : les femmes sont-elles des animaux ? Ont-elles le droit de décider/parler par elles-mêmes ? Des interrogations qui semblent incroyables à notre époque mais qui trouvent logiquement leur place au sein d'une communauté rétrograde comme celle de Molotschna. de façon très intelligente pourtant, Miriam Toews parvient à rendre ses questions vraiment actuelles puisqu'elle compare, entre les lignes, les comportements des hommes dans la société moderne (et les récentes affaires dévoilées par le phénomène MeToo) à ceux d'une poignée d'hommes vivants avec des préceptes moraux plus que douteux. Finalement, que l'on viole une femme mennonite ou une femme dans la société occidentale actuelle, n'est-ce pas l'assimiler inconsciemment à un animal ?

Partir ou se battre
Bien vite pourtant, les discussions, fortes en métaphores et paraboles, s'orientent vers la vie de ses femmes et leur avis sur la question centrale et raison de ce conciliabule : face aux atrocités commises, faut-il rester et se battre ou partir et fonder une nouvelle communauté ? En posant ce choix central (et après avoir rapidement évincé la possibilité de ne rien faire), Miriam Toews nous invite à réfléchir sur les choix qui s'offrent aux femmes devant les injustices dont elles sont victimes. Plus fort encore, elle s'interroge sur la possibilité de corriger l'homme dans la société actuelle ou la nécessité de repartir de zéro en évinçant les tyrans d'hier pour éduquer les enfants de demain au respect de la femme. La grande force du roman, c'est de ne jamais faire croire au lecteur que l'homme est mauvais par essence ou qu'il faille établir une sorte de domination féminine en miroir de celle établie par les hommes par le passé. La solution ici passe par le pacifisme (même s'il est très difficile et que Salomé adhère à une solution bien plus radicale que l'on ne peut que comprendre) et par la discussion, l'échange des idées, l'écoute de l'autre. Mine de rien, Toews incarne différents courants de pensée féministes et les confrontent sans compromis et…sans exclure l'homme du débat mais en lui rappelant le respect et la primo-importance de la parole féminine sur la sienne lorsque l'on en vient à un sujet qui concerne la femme.

Vivre avec Dieu
Au milieu de ce féminisme pluriel et passionnant, l'autrice canadienne place quelques réflexions intéressantes sur la religion et la construction Biblique qui s'articule finalement…sur des hommes…et qui se transmet par la parole masculine. Dès lors, la place de la femme peut-elle être autrement que secondaire par rapport à l'homme ? Loin de condamner le mennonitisme, Miriam Toews explique avec malice que la religion, c'est ce que l'être humain en fait. Que si d'un côté certains s'en servent pour asservir, d'autres retiennent le message de pacifisme total et le respect de son prochain.
Le coupable, là-dedans, ce n'est pas la spiritualité et les principes de la foi mais bien les origines de cette foi et le sexe de ceux qui la colportent.
En filigrane, on trouve aussi une histoire d'amour taciturne et pudique entre Ona et August, belle et simple qui ne domine personne et qui permet, au moins l'espace de quelques pages, de rêver à un monde meilleur. Miriam Toews, elle-même d'ascendance mennonite, explique la beauté du monde par un acte inutile, la rédaction d'un procès-verbal, qui finit pourtant par offrir un trésor inespéré au lecteur : la liberté et l'amour.

Témoignage imaginaire et sincère, porteur d'un message d'espoir et de liberté où les femmes existent et reprennent la parole, Ce qu'elles disent entre en résonance avec notre époque et explique, avec une intelligence de tous les instants, que la violence ne résout rien, que la vengeance ne profite à personne et que le changement viendra de l'éducation de nos enfants.
Magnifique, brillant et poignant.
Lien : https://justaword.fr/ce-quel..
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***

Elles se pensaient en sécurité, entourées de leurs maris, leurs frères, leurs oncles... Elles croyaient que leur foi les protégerait... Elles imaginaient que la violence et la souffrance viendraient du monde extérieur... Huit femmes de la colonie mennonite de Molotschna vont faire la triste découverte d'un monde qui s'écroule. Elles ont été abusées, trahies et vont devoir faire un choix... Deux jours suffiront-ils à changer toute une vie ?

Le roman de Miriam Toews est un roman fort. Touchée par ce qu'ont vécu ces femmes, émue par la véracité des faits, j'ai été désarçonnée et bousculée par l'écriture de l'auteur.

Huis clos oppressant, Ce qu'elles disent est avant tout l'image de femmes qui se lèvent, doucement, se mettent à genoux pour plus de force, et tentent de prendre un envol mérité.

C'est un roman difficile à suivre, pas tant par les scènes de violence, plutôt brumeuses et survolées, que par l'écriture de Miriam Toews. Elle a choisi de nous plonger au coeur des discussions de ces femmes, dans leurs digressions, leurs querelles, sans que les dialogues soient détachées du texte, sans que l'on puisse réellement reprendre notre souffle.
La forme du récit se prête à la pesanteur de l'ambiance, à la lenteur de l'histoire...

C'est donc avec une pointe de regret que j'ai laissé ces femmes en marge, que je me suis sentie comme étrangère, en marge, de leur doute, de leur peur et de leur élan d'espoir et de courage.
Car il en faut pour sauter dans l'inconnu, s'effaçant devant la nécessité de mettre en sécurité ses enfants, remettant en cause sa foi et ses croyances...

Merci à NetGalley et aux Editions Buchet-Chastel pour leur confiance.
Lien : https://lire-et-vous.fr/2019..
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critiques presse (4)
LesInrocks
10 janvier 2022
L’autrice, qui a grandi dans une famille mennonite, signe un beau texte sur la sororité et aborde dans une ambiance hors du temps des sujets très actuels.
Lire la critique sur le site : LesInrocks
LaPresse
20 mai 2019
Quatre ans après son bouleversant roman inspiré du suicide de sa soeur, la Canadienne Miriam Toews revient avec un titre percutant qui fait écho au mouvement #metoo.
Lire la critique sur le site : LaPresse
Chatelaine
26 avril 2019
Miriam Toews dévoile les propos de mères, filles et sœurs dans un roman vibrant.
Lire la critique sur le site : Chatelaine
LaPresse
25 avril 2019
Leurs questionnements sont justes, leur sororité, inspirante. Et le débat, brûlant d'actualité dans cette nouvelle ère où garder le silence ne fait plus partie des options.
Lire la critique sur le site : LaPresse
Citations et extraits (65) Voir plus Ajouter une citation
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« Salomé poursuit : Et quand nos hommes nous ont usées jusqu’à la corde, quand ils ont fait de nous des femmes qui, à trente ans, ont l’air d’en avoir soixante, des femmes avec un utérus qui, littéralement, menace de tomber sur le sol immaculé de notre cuisine, des femmes finies, ils se tournent vers nos filles. Et s’ils pouvaient nous vendre à l’encan ils le feraient sans hésiter. »
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Si j’ai bien compris, nous, les femmes, avons déterminé trois choses auxquelles nous estimons avoir droit.
Lesquelles ? demanda Greta.
Nous voulons que nos enfants soient en sécurité, répond Mariche. Elle s’est mise à sangloter doucement, elle a du mal à parler, mais elle poursuit quand même. Nous voulons rester fidèles à notre foi. Nous voulons pouvoir penser.
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« Les réunions ont été organisées à la hâte par Agata Friesen et Greta Loewen en réaction aux étranges agressions qui hantent le quotidien des femmes de molotschna depuis plusieurs années. Depuis 2005, en fait, les filles et les femmes de la colonie ont presque toutes été violées – par des fantômes ou par satan, croyait-on, à cause de péchés qu’elles auraient commis. Les agressions se produisaient la nuit. Pendant que les familles dor- maient, les filles et les femmes étaient plongées dans un profond sommeil au moyen d’un anesthésiant en pulvérisateur, à base de belladone, utilisé pour nos animaux de ferme. Le lendemain matin, à leur réveil, elles avaient mal partout, elles étaient groggy, saignaient, sans savoir pourquoi. Récemment, on a appris que les huit démons responsables de ces attaques étaient des hommes en chair et en os de molotschna, dont plusieurs étaient de proches parents – frères, cousins, oncles, neveux – des femmes.
J’ai reconnu un de ces hommes, non sans mal. enfants, nous avions joué ensemble. il savait les noms de toutes les planètes, ou bien il les inventait à mesure. il me surnommait Froag, ce qui, dans notre langue, signifie « question ». (…)
Les autres agresseurs, beaucoup plus jeunes que moi, n’étaient pas nés ou n’étaient que des bébés ou des tout-petits quand je suis parti avec mes parents, et je ne garde aucun souvenir d’eux.
Molotschna, comme toutes nos colonies, maintient elle- même l’ordre dans ses rangs.»
_p.20
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