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Critique de Lutopie


Lire Olga Tokarczuk, c'est se retrouver sur le divan d'une psychotérapeute qui nous parlerait d'elle. On laisse la psy raconter, et nous décrire le symptôme dont elle est atteinte.
« Les symptômes qui se manifestent chez moi se résument en une attirance pour tout ce qui est déglingué, imparfait, estropié, fêlé. Je m'intéresse aux formes qui sont comme des erreurs dans la création, des impasses. À ce qui était censé s'épanouir, mais qui, pour des raisons inconnues, est resté atrophié ou bien, tout au contraire, s'est développé à l'excès, au-delà du projet initial. À tout ce qui s'écarte de la norme, est trop petit ou trop grand, excessif ou incomplet, monstrueux, répugnant […] Ma sensibilité est tératologique, monstrophile. »

On peut, en tant que patient, s'identifier, opérer un transfert, mais on ne peut pas, je le crains, tendre la main à son psy pour l'aider à soulager ses symptômes, car on ne peut que l'écouter, on ne peut que la lire la Tokarczuk, on ne peut pas lui répondre (ça ferait quand même cher la séance. Allez, je t'envoie la facture Olga!) Par moments, on a envie de l'aider. Surtout lorsqu'elle écrit que le monde est sombre, infernal. Elle s'intéresse au Kali Yuga, au monde qui s'assombrit. Par moments, on se demande si elle ne serait pas tentée de rejoindre une secte (celle des Livres de Jakob par exemple) ou celle des Pérégrins (qui serait une secte de l'ancienne Russie). Dans un chapitre, on sent qu'elle est à deux doigts de finir dans un métro emmitouflée dans des couches de vêtements et de lancer des insultes aux passants tout en se balançant sur elle-même. Elle nous dit que si elle bouge, c'est pour ne pas se laisser enfermer (C'est pourquoi elle fuit lorsqu'on l'approche).

Lors d'une autre séance, je la laisse m'expliquer, dans un aéroport, ce qu'est la psychologie du voyage. Alors, j'ai beau avoir suivi les conférences de ce livre, je ne suis pas certaine d'avoir tout saisi au vol de l'avion, mais je me dis que ce n'est pas bien grave et tant mieux, car Olga Tokarczuk l'écrit elle-même que la psychologie est loin d'être une science exacte. D'ailleurs, elle explique dans ce livre pourquoi elle a arrêté de s'adonner à la psychologie. On se demande parfois à la lire dans quelle mesure ses livres peuvent être autobiographiques (d'autant plus qu'on s'y perd avec tous ses personnages). Mais je crois qu'elle nous en dit beaucoup lorsqu'elle écrit qu'elle sait aujourd'hui une chose : « quiconque cherche de l'ordre et de la cohérence doit se tenir à l'écart de la psychologie. » Personnellement, j'aurais soigneusement évité de faire les mêmes études qu'elle, ne serait-ce que pour éviter les dissections. Elle écrit qu'elle soupçonne que tous les étudiants en psychologie ne font pas ces études par hasard et qu'ils ont tous au fond d'eux une faille secrète. Une espèce de tumeur psychologique. (Méfiez-vous des psy, ils sont peut-être plus fous que vous!) Olga Tokarczuk elle-même est un peu toquée. Mais elle a le mérite d'avoir changé de voie, en sentant qu'elle aurait fait une piètre psychologue. D'ailleurs, elle était contre la méthodologie de la discipline, parce qu'elle trouvait les tests mensongers, on enseigne aux étudiants la statistique, on leur apprend à placer l'être humain sur des repères orthonormés. Elle préfère quand l'être humain sort des cases.

Elle les préfère dans des bocaux les humains … (Quand je vous dis qu'elle est bizarre!) N'oublions pas qu'elle est de sensibilité
«  tératologique, monstrophile ». Elle puise dans cette fascination pour l'anormal et nous décrit minutieusement des corps en morceaux, des bocaux fascinants / répugnants (au choix) tels qu'on en trouve au Museum d'Histoire Naturelle. Des bocaux qui ont plus l'air artificiels que naturels et c'est « normal » à mon sens de les trouver artificiels ces morceaux de corps humains « naturels » car il n'est pas « naturel » qu'ils soient conservés aussi longtemps, après la mort, dans des bocaux, par ex. Olga Tokarczuk nous parle des procédés de conservation comme la plastination, ce qui peut aussi bien attirer/ repousser (au choix) ses lecteurs et ses lectrices. Moi j'aime bien la lire, mais, j'insiste, je la trouve vraiment bizarroïde, alors je la lis avec des pincettes (après l'avoir bien disséquée, pour mieux l'analyser).

* « Olga Tokarczuk a étudié la psychologie à l'université de Varsovie. Durant ses études, elle travaille, bénévolement, avec des personnes souffrant de troubles mentaux. Après avoir terminé ses études, elle devient psychothérapeute à Wałbrzych. » Wikipedia
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